Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/708

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
696
REVUE DES DEUX MONDES.

le mieux l’histoire du français, M.  V. Thomsen compte parmi ses disciples immédiats deux des linguistes les plus originaux du temps présent : M.  Jespersen et M.  H. Pedersen. M.  Jespersen s’est surtout occupé de l’histoire de l’anglais. Il a montré comment le développement des langues indo-européennes a conduit à l’anglais, la langue dont le type diffère le plus de l’indo-européen commun, et comment, au contraire de ce qu’imaginaient bizarrement les romantiques, le langage devient plus clair, plus maniable, plus utile au fur et à mesure qu’il se dégage plus de l’inextricable complication des anciennes formes grammaticales, telles qu’elles apparaissent encore dans les Védas et chez Homère.

M.  Pedersen a une ampleur de connaissances singulière. Du slave au celtique, en passant par l’albanais, il s’est attaqué aux sujets les plus difficiles, semant partout les idées personnelles. Il est le premier qui ait osé écrire une grammaire comparée de ces parlers celtiques dont l’obscurité décourage tant de linguistes. M.  V. Thomsen est, aujourd’hui, le plus grand nom de la linguistique. Mais on le comprendrait mal, si l’on ne voyait en lui un successeur du grand découvreur qu’a été Rask, l’émule de Verner, le maître de MM.  Jespersen et Pedersen. Tous ces savants unissent l’entière indépendance de l’esprit à l’absolue rigueur de la méthode, le sens de la réalité à une imagination puissante. Si leur œuvre avait manqué, on se représente mal ce que serait la linguistique d’aujourd’hui.

A. Meillet.