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LE MILIEU UNIVERSITAIRE

L’hospitalité américaine est sans égale. Je n’en connais pas du moins qui soit plus chaude ou aussi spontanée.

Et c’est pourquoi moi, vieil Européen, je me trouve, du jour au lendemain, admis dans des maisons où l’on me traite en ami de toujours. En peu de temps, je connais tous les représentants de la haute société de New Haven. Car ici, la société et l’Université ont partie liée. L’Université recrute assez souvent ses membres dans les anciennes familles de New Haven et celles-ci, de leur côté, s’enorgueillissent de compter parmi leurs ancêtres quelque professeur célèbre, ou simplement un des bienfaiteurs de Yale. Cette union est si intime, que ces vieilles familles ont leur résidence tout près, à l’ombre, pourrait-on dire, de l’Université : Hillhouse Avenue, Whitney Avenue, Prospect Street, c’est-à-dire tout le quartier élégant, bordent ou traversent les terrains de l’Université. Et quand on voit un magnifique palais aux pelouses soignées, on ne sait jamais si c’est la somptueuse demeure de quelque heureux de ce monde ou l’une des « fraternités » luxueuses que les admirateurs de Yale ont érigées à profusion dans ce voisinage.

Les professeurs et leurs amis constituent, je ne tarde pas à m’en apercevoir, un milieu à part, qui a ses façons de penser et de sentir à lui, fier soit de sa richesse, soit de sa suprématie intellectuelle, et assez fermé, bref une caste. J’emploie ce mot à dessein, bien que je sache devoir choquer toutes les idées reçues en France sur le peuple américain... A nos yeux, les Etats-Unis sont par excellence le pays de la démocratie. Nous en sommes persuadés depuis qu’a paru le livre, d’ailleurs admirable, d’Alexis de Tocqueville. Et les Américains, de fort bonne foi, entretiennent en nous cette idée par leurs affirmations. Ils aiment à faire remarquer qu’ils sont l’expression la plus parfaite de l’idéal démocratique. Je me souviens d’avoir entendu un millionnaire de New-York, qui vivait dans un palais et devant la volonté duquel tout pliait, vanter avec chaleur et en toute sincérité l’égalité absolue qui règne entre les hommes de son pays. « Nous n’avons pas, me disait-il, et c’est là en quoi nous sommes uniques, ces classes insolentes qui, en Europe, prétendent s’imposer par la seule vertu de leur naissance et accaparent