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Sur le côté occidental du Green s’élèvent les bâtiments principaux de l’Université, ceux qui délimitent le vieux Campus. Autrefois une simple clôture de bois séparait Yale du centre civique de New Haven. Les arbres du Campus rejoignaient fraternellement ceux de la cité et les étudiants se servaient de la pelouse publique pour leurs jeux. En des temps qui ne sont pas très éloignés, on pouvait voir la foule des citoyens oisifs, mêlée aux étudiants, s’étager sur les marches du State House, bâti en face du collège, pour y suivre les passes violentes des équipes de football. Aujourd’hui, des murs altiers, tout le long de Collège Street, se dressent à l’endroit même où courait l’ancienne barrière, et forment une enceinte que de solides portes de fer peuvent rendre impénétrable quand il le faut. Car c’est quelquefois nécessaire.

Ce matin, avant de quitter l’hôtel, j’ai trouvé un bavard qui m’a longuement expliqué l’opinion de New Haven. La ville est naturellement fière de son Université qui, étant, par rang d’âge, la seconde des États-Unis, a des titres au respect de chacun. Mais, d’un autre côté, Yale jouit de privilèges qu’elle acquit à une époque où l’on ne pouvait pas prévoir toutes les complications de l’existence moderne. Elle est dispensée de certains impôts, et elle possède des quartiers entiers. Elle représente donc pour la masse ignorante une personne gênante, qui profite largement des dépenses générales et y contribue relativement peu. « Voyez-vous, monsieur, me dit mon interlocuteur, ce n’est pas juste. Nous citoyens de New Haven, nous avons à payer les impôts auxquels échappe l’université, et nous ne profitons guère des avantages qu’elle offre à ses étudiants presque tous venus d’ailleurs. » Je devine à ce trait la jalousie naturelle du boutiquier paisible et médiocre contre la jeunesse riche et probablement exubérante de Yale. C’est l’antique rivalité de « Town and Gown, » — de la ville et de la toge, — si vive autrefois dans les Universités anglaises, et que je retrouve ici d’une manière inattendue. Rivalité qui va parfois jusqu’à la bataille, comme celle qui eut lieu, il y a quelques mois à peine, entre citoyens et étudiants. Après l’armistice, lors du retour du régiment de New Hawen. Dans ce pays où la loi de Lynch est encore appliquée, les passions ont quelque chose de primitif, toujours prêt à sourdre sous les réglementations sévères qui, en temps ordinaire, font des Etats-Unis la plus fortement disciplinée des nations.