Leurs troncs rugueux et noirs donnent encore l’illusion d’une robuste pérennité et leurs branches tordues en un enchevêtrement où l’œil se perd disent assez l’exubérance d’une croissance joyeuse. C’étaient presque les derniers survivants ; l’hiver prochain, il ne restera plus qu’à les abattre et ainsi aura disparu à tout jamais l’originale beauté de ce Green.
Une rue peu passante, Temple Street, coupe en deux cette nappe de verdure. Alignées sur l’un des côtés de cette rue, trois églises symétriquement placées, une au centre. Centre Church, une à chaque extrémité, Trinity et United Church, surveillent le vaste espace à leurs pieds et nous rappellent que la ville fut fondée par des hommes aux convictions religieuses ardentes. En 1638, en effet, quelque deux cent cinquante Puritains, conduits par le Révérend John Davenport, et fuyant les persécutions de leur pays, après avoir séjourné plusieurs mois dans les environs de Boston, se mirent à la recherche d’un climat moins rude, vers le Sud. Ils fixèrent leur choix sur la région fertile que les Indiens appelaient Quinnipiac. Pour une douzaine de vêtements, autant de houes, d’écuelles, de hachettes, auxquelles ils ajoutèrent douze couteaux et quatre boites de ciseaux français, ils obtinrent un terrain où installer la colonie. En cet endroit, ils tracèrent un carré, qui devint la place du marché, — le Public Green, — et, tout autour, ils édifièrent des maisons. Tels furent les humbles débuts de New Haven. Les années ont passé. Sauf deux ou trois maisons de bois, dans le style dit colonial, datant du XVIIe siècle et encore debout, toutes les bâtisses qui, à l’origine, bordaient ce lieu ont été démolies, reconstruites pour être démolies et reconstruites à nouveau. Des monuments officiels comme des parvenus, étalent maintenant leur pierre et leur marbre. Deux ou trois sky-scrapers ont rompu de leur laideur utilitaire la modeste ligne des toits. Mais le Green est resté tel qu’il était autrefois et proteste contre les transformations trop radicales. Dans la grande cité industrielle de plus de 180 000 habitants, il conserve un petit air vieillot, et il assemble les souvenirs qui s’attardent sur la ville et l’empêchent de se détacher complètement de son passé. Qu’elle le veuille ou non, New Haven est une vieille ville, — pour l’Amérique s’entend, — âgée de près de trois siècles, et dont on peut encore lire l’histoire sur ce carré de verdure, avec ses trois églises, témoins impassibles du temps qui s’écoule.