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NOCTURNE [1]

PREMIÈRE OFFRANDE


Ægri somnia.


J’ai les yeux bandés.

Je suis étendu sur le dos dans mon lit, le torse immobile, la tête renversée, un peu plus basse que les pieds.

Je soulève légèrement les genoux pour donner une inclinaison à la tablette qui s’y trouve posée.

J’écris sur une étroite bande de papier où il n’y a que la place d’une ligne. J’ai entre les doigts un crayon agile. Le pouce et le médius de ma main droite, appuyés sur les bords de la bande, la font glisser à mesure que le mot est écrit.

Je sens, avec la dernière phalange du petit doigt de ma main droite, le bord inférieur ; et je m’en sers comme d’un guide pour conserver l’alignement.

Mes coudes sont immobiles contre mes flancs. Je cherche à donner au mouvement des mains une extrême légèreté, de manière que leur jeu ne dépasse pas l’articulation du poignet, que nul tremblement ne se transmette à ma tête pansée.

Je sens dans toute mon attitude la rigidité d’un scribe égyptien, sculpté dans le basalte.

La pièce est privée de toute lumière. J’écris dans l’obscurité. Je trace mes signes dans la nuit qui pèse sur mes deux cuisses, comme la planche clouée du cercueil.

J’apprends un art nouveau.

Quand la dure sentence du médecin me renversa dans l’obscurité, m’assigna dans l’obscurité l’étroit espace que mon corps

  1. Copyright by G. D’Annunzio, 1922.