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Chronique 14 janvier 1922

CHRONIQUE DE LA QUINZAINE [1]

S’il est vrai, comme l’a dit Gœthe, que la nature ait voué sa malédiction à l’immobilité, les premiers ministres alliés sont, de tous les hommes, les moins maudits. Ils nous donnent depuis l’armistice l’exemple du mouvement perpétuel. Londres, Calais, Boulogne, Bruxelles, Spa, San Remo, Washington, Cannes, Gênes, tous ces déplacements successifs font honneur à l’agilité et à l’endurance des gouvernants ; ils ne semblent pas, jusqu’ici, avoir favorisé la renaissance des peuples, ni hâté, en particulier, le relèvement de la France. A chaque villégiature, nous avons eu à subir une nouvelle amputation de nos droits et un effondrement plus complet de nos espérances. La victoire, cette victoire que nous avons si longtemps attendue et si chèrement achetée, s’est peu à peu éloignée de nous, confuse et humiliée des traitements que nous lui infligions. Les réparations se sont rétrécies, comme une peau de chagrin, au point de n’être plus aujourd’hui, devant nos yeux, qu’un objet imperceptible et insaisissable. Le Traité de Versailles s’en est allé lambeau par lambeau, et ceux-là mêmes qui en avaient le plus hautement proclamé l’insuffisance ont été les premiers à le ruiner, au lieu de le renforcer. Nous voici maintenant au bas de cette pente savonnée, dont je n’ai que trop parlé depuis deux ans. La politique du glissement a consommé son œuvre. Il n’y a plus de Traité. L’état de paiements lui-même n’existe plus qu’à titre de document historique. L’ultimatum du mois de mai est oublié. Nous avons derrière nous un immense monceau de protocoles, de déclarations collectives, de papiers jaunis, de lettres déchirées, de clauses abolies et devant nous, quoi ? De la brume, des nuées, des ténèbres.

Lorsque M. Briand, de retour de Londres, s’apprêtait à partir pour

  1. Copyright by Raymond Poincaré, 1921.