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un style original, pourraient en effet intéresser même un lecteur andeolien [1]. Mais le fond et la forme d’un tel sujet sont entièrement hors de ma sphère. Puis il faut que vous sachiez qu’à la guerre l’esprit est tellement préoccupé et rétréci qu’on observe peu les détails, surtout sous le point de vue qui conviendrait au romancier ; on ne songe guère qu’à se faire vivre et à marcher ; tout le reste est insensé ou indifférent. Aussi je doute fort qu’un seul individu puisse satisfaire votre envie et je crois que vous en apprendrez beaucoup plus en jasant avec de vieux soldats qu’en consultant des officiers. Nos campagnes fournissent de ces types que vous cherchez [2],

Ayez seulement le courage de vous mettre en quête. Tout ce que je pourrais faire pour vous, à l’égard de l’objet en question, ce serait de vous dire mon avis, car je discernerais, je crois, parfaitement, le vrai du faux, le naturel de l’exagéré ; mais en conscience, je ne sais pas le premier mot de ce qu’il faudrait dire.

C’est en toute humilité, mon cher Honoré, que je vous confesse mon insuffisance, désespéré que je suis de ne pouvoir vous être bon à quelque chose. J’espère que mon incapacité romancière ne me nuira pas trop dans votre esprit ; et, pour vous prouver mon dévouement, je vous promets que, si je fais une autre campagne, je vous rapporterai de riches matériaux, foi d’artilleur, j’en prends l’engagement. Ma promesse peut être assimilée, je le sais, à l’apport sur la table d’un cornichon après dîner, mais n’importe ! Vous pourrez quelque jour me sommer de la tenir, car vous n’épuiserez pas cette fois la mine.

Adieu ! Que le séjour des champs vous soit salutaire ! Comptez toujours sur mes sentiments affectueux et, malgré mon extrême nullité, confirmez-moi votre amitié.


PÉRIOLAS.

  1. Les habitants de Bourg-Saint-Andéol (Ardèche) dont la réputation d’intelligence va de pair, dit-on, avec celle des bourgeois de Falaise.
  2. Souvenons-nous du pontonnier Gondrin et de l’Histoire de Napoléon racontée dans une grange, par le fantassin Goguelat, dans le Médecin de campagne.