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consent à se rapprocher de Moreau et c’est lui qui a désigné aux ministres de George III Fauche-Borel comme étant le seul homme capable de mener à bien la réconciliation désirée. Fauche partira donc pour Paris, afin de tâter les intentions du vainqueur de Hohenlinden. Telle est la version du libraire ; il est probable que la vérité s’y trouve tout au moins « embellie. »

Ce qui est sûr, c’est qu’il quittait Londres le 5 juin 1802 et, soit qu’il poussât l’inconscience jusqu’à la témérité, soit que l’amour des lucratives intrigues l’eût aveuglé au point de lui ôter toute prudence, six jours plus tard, il s’établissait à Paris où, depuis près de cinq ans, son nom et son signalement étaient connus des policiers de tous grades. On peut croire que, semblable en cela à beaucoup de ses contemporains, il jugeait attrayante cette vie romanesque et périlleuse du conspirateur contraint à la double face, à la dissimulation, aux feintes incessantes, à une perpétuelle lutte d’astuce contre les espions qui foisonnaient dans le Paris de cette époque si bien machiné pour ces existences clandestines : rues étroites et sinueuses, encombrées et grouillantes, maisons à double sortie, raccourcis imprévus, angles sombres, longs passages à nombreuses issues ; dès le déclin du jour on circule dans l’ombre, les rares lanternes des carrefours repèrent, mais n’éclairent pas ; à vingt pas de chez soi, on est un étranger, et l’on trouve dans tous les quartiers des logements avec caches, trappes, armoires tournantes, cheminées à échelles, enseignes réceptacles, alcôves à coulisse, que fabrique secrètement avec art un marguillier de la paroisse Saint-Laurent, nommé Spin. Fauche-Borel se logea rue et hôtel des Bons Enfants ; il comptait que sa nationalité et son apparence de placide libraire, venu à Paris pour affaires de son commerce, lui épargneraient les tracasseries de la police ; il ignorait que son double jeu était connu et qu’il était déjà noté comme un incorrigible meneur ayant toujours « un projet de complot dans une poche et un manuscrit à éditer dans l’autre. » Cette fois, le but avoué de son voyage était « de renouveler connaissance avec ses confrères » et il apportait des écrits inédits de Jean-Jacques Rousseau, — les mêmes dont il avait jadis pris prétexte pour pénétrer chez Pichegru à Blotzheim, — qui, dès son arrivée, furent acceptés par Bossange, Masson et Besson, libraires éditeurs, rue de Tournon, no 6.

Dans cette même maison habitait un autre libraire nommé