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s’étend guère au delà des murs de la capitale, doit assurer l’existence d’autant de fonctionnaires que s’il administrait tout le territoire de l’ancien Empire ; car les fonctionnaires provinciaux se sont repliés en bon ordre sur les ministères dont ils dépendent, et où ils viennent faire, à tour de rôle, quelques heures de présence. L’usage est depuis longtemps établi de ne pas les payer régulièrement. Mais enfin un jour arrive où il faut leur donner tout de même un à-compte sur leurs appointements arriérés. Les fêtes du Baïram approchent : peut-on manquer à la tradition immémoriale qui oblige l’État à entr’ouvrir ses guichets à l’occasion de cette solennité ? On décide que chaque fonctionnaire touchera un mois de traitement. Cela coûtera au Trésor un million deux cent mille livres, dont il n’a pas le premier sou. Toute tentative d’élever des impôts nouveaux ou d’élever le taux des anciens a échoué devant l’opposition de quelqu’une des Puissances alliées. Alors on demande des avances à la Dette, à la Banque ottomane, à la Régie des Tabacs. Pour les obtenir, l’État donne en gage ses dernières sources de revenu et fait un pas de plus, non point seulement vers la banqueroute, mais vers la ruine et l’impuissance. Lorsqu’il y sera parvenu, il ne restera plus aux États occupants que de se substituer à l’État ottoman et d’assumer eux-mêmes, directement et souverainement, l’administration de l’Empire. À en juger par les procédés qu’ils mettent en œuvre, on dirait vraiment que les Alliés ont hâte d’en venir là : de fait, la faillite totale de l’État ottoman pourrait favoriser les desseins d’une certaine politique anglaise ; en revanche, elle léserait très gravement nos intérêts. Aussi, n’arrive-t-on pas à comprendre que nous consentions parfois si facilement à des mesures, dont nous serons les premiers à souffrir.

Un Français, qui a longtemps exercé à Constantinople des fonctions importantes, me faisait observer que, durant toute la guerre, l’Administration de la Dette publique avait effectué ses rentrées très exactement : il est vrai que les sommes recouvrées étaient envoyées à Berlin, où elles furent converties en marks ; mais enfin, cet argent existe et permettrait de payer aux porteurs leurs coupons. De même la Régie des Tabacs, les Chemins de fer n’avaient été que très légèrement atteints dans leurs intérêts. La situation a changé rapidement depuis l’armistice ; la prolongation de la guerre gréco-turque la rend chaque