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nos alliés persistent à considérer l’organisation d’une solidarité économique internationale comme la condition primordiale de l’amélioration de leur propre sort et qu’ils mettent ce dessein, à la fois grandiose et obscur, au premier rang de leurs préoccupations. Le projet théâtral d’une grande Conférence ou même d’un Congrès, où seraient représentés tous les États de l’Europe, y compris, sans doute, l’Allemagne, continue à hanter les esprits. Dans ces vastes assises, tout serait remis en question. Les changes, les émissions de papier, les réparations, le Traité de Versailles, l’avenir du monde, les sujets les plus variés, enchaînés les uns aux autres, se dérouleraient devant les Congressistes. Cette fois, ce serait bien l’éclatant triomphe de ce que je me suis permis d’appeler la diplomatie du cinéma. Que gagnerait la France à cette manifestation tapageuse ? Rien. Qu’y pourrait-elle perdre ? Tout. Qu’y perdrait l’Allemagne ? Rien. Qu’y pourrait-elle gagner ? Tout.

M. Briand a clairement vu le péril et il a essayé d’y échapper. Il a voulu prendre ses précautions avant de s’engager dans cette aventure. Mais comment être sûr de ne pas tomber, lorsqu’on commence à mettre les pieds sur un sol glissant ? Demander que la Conférence ne modifie aucun des droits que la France tient, soit du Traité, soit de l’état de paiements, rien de mieux. Mais qui empêchera les délégués réunis de toucher à tout et de remanier tout ? Qui préviendra les intrigues ? Qui a la certitude de pouvoir déjouer les manœuvres allemandes ?

Nous avons, par bonheur, quelques instants de répit avant d’arriver au bord du précipice. Une étape nous est offerte, sur la Côte d’Azur, dans la charmante ville de Cannes, et le Conseil suprême, qui ne veut pas mourir, même de langueur, va soigner sous le ciel méditerranéen sa santé chancelante. S’il entreprend de préparer l’ordre du jour d’un Congrès universel, il est à craindre qu’il ne s’égare dans le pays des chimères. Il serait mieux inspiré, certes, si, en l’absence des reporters et des photographes, û s’appliquait simplement, sans dis- cours et sans bruit, à faire exécuter les traités et à réaliser la victoire.


RAYMOND POINCARE.


Le Directeur-Gérant :

RENE DOUMIC.