Mercredi, 12 avril.
Le comte Constantin de Broel-Plater est en partance pour Londres, Paris et Lausanne, où il va conférer avec ses compatriotes polonais.
Je l’ai invité à déjeuner ce matin, ainsi que le comte Ladislas Wiélopolski et le comte Joseph Potocki ; personne autre, afin que nous puissions causer librement.
Un entretien très confiant, que j’ai eu hier avec Sazonow, me permet de leur certifier que l’Empereur persévère dans ses intentions libérales envers la Pologne.
Wiélopolski me répond :
— Je n’ai aucune inquiétude quant aux intentions de l’Empereur et de Sazonow. Mais Sazonow peut, du jour au lendemain, disparaître de la scène politique. Et alors, qui nous garantira contre une défaillance de l’Empereur ?
Plater expose que les Alliés devraient prendre en main la question polonaise, de façon à l’internationaliser.
Je m’élève avec force contre cette idée. La prétention d’internationaliser la question polonaise provoquerait, dans les milieux nationalistes de l’Empire, un éclat d’indignation et paralyserait toutes les sympathies qui nous sont acquises dans les autres milieux. Sazonow lui-même se cabrerait. Et toute la bande de Sturmer aurait beau jeu à clamer contre les Puissances démocratiques d’Occident qui profitent de l’Alliance pour s’immiscer dans les affaires intérieures de la Russie. J’ajoute :
— Vous connaissez les sentiments du Gouvernement français pour votre cause, et je peux vous garantir que sa sollicitude ne reste pas inactive. Mais son action sera d’autant plus efficace qu’elle sera plus discrète, plus exempte de tout caractère officiel. En ce qui me concerne, je ne perds aucune occasion d’amener les ministres de l’Empereur à me parler de la Pologne, à me confier leurs idées, leurs indécisions, leurs objections, sur les graves et complexes problèmes que soulève la proclamation de l’autonomie polonaise. Pour n’être formulées qu’à titre privé, leurs déclarations réitérées (car aucun d’eux, même Sturmer, n’a osé protester devant moi contre les intentions de l’Empereur), toutes ces déclarations, dis-je, finissent par constituer une sorte d’engagement moral qui, en