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clame éperdument leurs vertus. Car ils ont des amis dévoués, intéressés et même désintéressés, qui ont été obligés de se taire au cours de la guerre, et qui rattrapent le temps perdu. Ils s’en donnent à cœur joie, je vous prie de le croire ; ils plaignent ces Allemands loyaux, ces pauvres Allemands qui ont été les victimes d’une conspiration universelle, et qui continuent à représenter la haute culture en même temps que la justice et le droit. Dirai-je que ces hérauts de la Germanie rencontrent tout crédit ? C’est ici que je crois discerner plus d’une nuance nouvelle. Sans doute, quelques bonnes âmes estiment que les atrocités allemandes sont pure calomnie ; il y a des gens qui nient jusqu’à l’évidence. Mais d’une façon générale, on s’est rendu compte que ces demi-dieux, qui passaient pour tout puissants, mais débonnaires, avaient pris avec la morale quelques petites libertés regrettables. On n’oubliera pas de sitôt la violation de la neutralité belge, par exemple ; rien n’a été plus sensible à la conscience du pays que cet abus de la force. On est moins dupe du masque courtois et de la parole affable ; on se méfie. Quelques-unes de leurs victimes directes, comme les prisonniers de guerre, leur ont voué une haine tenace. Leur prestige continue à être grand : mais il est un peu mêlé.

« Comme ils se rendent compte de cet état d’esprit, ils cherchent à le corriger par un redoublement de prévenances. Mais voici autre chose : cette inondation des produits allemands n’est pas sans inquiéter, car plus d’une industrie nationale a dû s’arrêter devant une concurrence impossible à soutenir. Des cris d’alarme retentissent de temps à autre, qui ont eu leur écho jusqu’à la Chambre même. Les nationalistes, qui sont comme les vigies du grand navire italien, perchés dans les mats pour signaler de loin tous les écueils, n’ont pas manqué d’attirer l’attention sur ce danger qui va grandissant. Vous ne vous étonnerez pas, si je vous dis qu’en outre les Allemands se sont arrangés pour provoquer eux-mêmes l’inquiétude de l’Italie. Ils sont toujours ainsi : leur politique est rusée, tenace, et admirable à ceci près, qu’au moment critique ils commettent toujours une erreur grossière, qui démolit leur jeu et leur vaut d’être battus. Donc, l’Italie est entrée en possession du Haut-Adige, et elle s’est mise à administrer les territoires conquis dans un esprit de parfaite tolérance, respectant les institutions, les coutumes, la langue du pays, envoyant là-bas des fonctionnaires