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qui serait tomber dans l’abus jadis inscrit dans le traité de Paris, Dans la séance du 6, les Puissances occidentales se sont prononcées. Lord Curzon, en présentant le projet arrêté le 5 entre les Alliés, a fait ressortir que la thèse russe ne tenait pas compte des droits de la Roumanie et de la Bulgarie, et aboutissait en fait à une mise en tutelle de la Turquie ; l’égalité des droits et la liberté économique que revendique M. Tchitcherine ne peuvent être assurées que par l’ouverture des Détroits et non par leur fermeture. « Les Alliés n’ont nullement cherché des avantages personnels ; » ils ont voulu l’égalité économique absolue entre les États qui commercent dans la Mer-Noire. Les Détroits sont une route internationale qui doit être libre, mais des mesures spéciales seraient prises pour assurer la sécurité de Constantinople, l’indépendance du Gouvernement turc et du Khalifat. Les deux rives des Dardanelles et du Bosphore seraient démilitarisées sous la surveillance d’une Commission composée des représentants des États riverains et des États intéressés au commerce dans la Mer-Noire (France, Grande-Bretagne, Italie, Japon, Grèce, États-Unis).

M. Barrère, en un langage très ferme et très précis, appuya la proposition présentée au nom des Alliés par lord Curzon, et insista particulièrement sur les « restrictions indispensables pour mettre la Turquie riveraine des Détroits à l’abri contre un abus du droit de passage… Ce droit ne peut, dans de telles conditions, constituer pour chacun des riverains de la Mer-Noire ni une menace ni une atteinte à leur souveraineté. Il comporte au contraire une garantie précieuse contre une politique d’hégémonie qui menacerait la sûreté de certains riverains de la Mer-Noire, et en particulier celle de la Turquie. » Le marquis Garroni, au nom de l’Italie, joignit sa voix à celle de ses collègues. M. Child tint à proclamer l’attachement des États-Unis à la politique de la porte ouverte et de la libre navigation. La Turquie, à son tour, s’est prononcée, dans la séance du 8. Aucune de ses observations ou contre-propositions n’apparaît incompatible avec l’esprit général du projet des Alliés ; quelques-uns de ses amendements semblent pouvoir être adoptés. Un accord paraît donc probable à bref délai. Le ton arrogant de M. Tchitcherine a produit l’effet qu’on. en pouvait attendre ; les Turcs ont compris que, dans l’avenir comme dans le passé, le péril, pour leur indépendance, ne viendra pas de la Méditerranée, mais de la Mer-Noire du fond de laquelle la grande Russie tendra toujours à sortir par les Détroits de Constantinople.