Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/956

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son renom d’État civilisé, déjà terni par les massacres qui ont marqué la retraite des troupes d’Anatolie. Le 26 novembre, le cabinet Krokidas ayant donné sa démission, le comité d’officiers révolutionnaires qui a détrôné le roi Constantin et qui gouverne la Grèce, présentait au roi Georges la liste d’un nouveau ministère présidé par le colonel Gonatas et composé en majorité de militaires. L’Europe n’allait pas tarder à connaître la raison d’un tel changement. Ce procès pour haute trahison de MM. Gounaris, Stratos et Protopapadakis, anciens premiers ministres, de MM. Baltazzi et Theotokis, anciens ministres, et du général Hadjianestis, ancien commandant en chef de l’armée d’Anatolie, était, depuis quelque temps déjà, pendant devant une Cour martiale. Le Comité militaire révolutionnaire exigeait la condamnation et la mort des accusés. Le ministre d’Angleterre. M. Lindley, fit, pour les sauver, une démarche impérieuse avec menace d’une rupture diplomatique s’ils étaient exécutés. Le nouveau cabinet fut formé avec la mission de faire exécuter la sentence. Reconnus coupables dans la nuit du 27 au 28, les six accusés furent, dans la matinée du 28, fusillés.

Cette conception insolite de la responsabilité des ministres, le caractère révolutionnaire du tribunal et du Gouvernement qui l’a constitué, les hautes fonctions que les victimes avaient occupées, produisirent en Occident une impression d’étonnement et d’horreur. De pareilles représailles paraissent moins surprenantes à qui connaît la violence des haines qui divisent en Grèce les clans politiques, l’ardeur des ambitions rivales dans l’armée et, dans le peuple, la force des passions nationales que les récents désastres ont humiliées. Les fusillés du 28 novembre avaient exercé contre leurs adversaires des violences qui, pour avoir été moins retentissantes, n’étaient pas plus excusables ; ils ont une lourde responsabilité dans le lâche assassinat de 70 marins français au Zappeion ; ils ont été les instigateurs du retour de Constantin et les ministres de ses vengeances ; ils ont compromis, pour servir leur ambition et leur clan, les intérêts de leur patrie. En vérité, dans cette affaire, si les bourreaux font horreur, les victimes n’inspireraient qu’une pitié mitigée si le plus grand coupable, le roi Constantin, ne se promenait en Sicile et si des influences étrangères ne s’étaient exercées sur ses anciens ministres pour les jeter dans l’aventure anatolienne ou les empêcher d’en sortir. Sur les encouragements, formulés parfois comme des injonctions, qui, de M. Lloyd George et de son entourage, vinrent aux divers gouvernements d’Athènes, le journal le Matin