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la vie du ménage ! Quand on est en proie à tant de scrupules, le mieux, évidemment, est de ne pas se mettre en ménage. Le Piolet, lui, ne s’embarrasse pas de subtilités, Son âme n’est pas compliquée : ce serait plutôt un tempérament. Sensible, il l’est à sa manière : un jour qu’il avait à se défaire de neuf chiens, il les a fusillés lui-même, tous les neuf, pour leur bien. Il aurait parfaitement compris, jeudi dernier, les belles choses que disait Mgr Baudrillart sur les chiens que l’Académie a récompensés d’un prix Montyon. Mais pas de vaines rêveries. Avant de philosopher, il faut vivre. Il est, lui, plein de vie, débordant de vie. Santé robuste, humeur joyeuse... De plus en plus, dépitée et déçue par les atermoiements du philosophe, Hortense incline vers le bel étalon.

Au dernier acte, elle fait, pour dégeler Parmelin, une tentative suprême. L’ayant aperçu qui se promenait dans l’allée voisine, à la manière des péripatéticiens, elle se baigne dans le réservoir aux carpes. Lui, baissant pudiquement les yeux sur son livre, s’empresse de protester qu’il n’a rien vu... Quelqu’un pourtant a vu. Car Hortense a nettement distingué un regard luisant dans un buisson. Piolet serait-il l’Actéon de cette nouvelle Diane ?... Ce n’était pas lui. L’indiscrète, car c’était une femme, est une paysanne, Angelina Pierrot, dont il nous a été plusieurs fois parlé, comme d’une personne de mœurs peu farouches. La scène, où elle nous est présentée, est une des meilleures de la pièce. C’est plutôt un bout de scène ; mais il n’en fallait pas très long pour camper ce type de la bonne nature animale. Une sorte de poésie naturaliste s’empare de la scène et trouve en Piolet un interprète presque lyrique. Le couplet où il évoque une impression de jeunesse et de printemps, lors d’un retour à la campagne, est à mettre à côté des meilleures pages que l’émotion des grands paysages ait inspirées à M. de Curel. L’ivresse de la nature est en lui.

C’est pour une autre ivresse que se réserve Parmelin. Qu’allait-il faire ? Succomber à la tentation ? Sombrer dans la matière ? S’enfermer dans la prison des sens ? Il s’éveille à temps. L’unique griserie dont puisse s’exalter un philosophe, c’est celle de la pensée pure ; le seul vertige, celui de l’infini. Parmelin boucle sa valise, sa petite valise d’homme d’étude, et cède à l’éleveur sa fiancée qui accepte et le remercie.

La pièce, on le voit, est toute en conversations. Mais on sait que M. François de Curel excelle à rendre vivants, étonnamment vivants, de simples discoureurs. Le portrait dessiné du crayon le moins