Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelque intérêt à débrouiller ici, et qui n’emploient pas volontiers la manière douce ; les hommes d’affaires, qui viennent secouer les employés des ministères, et réveiller le zèle somnolent d’une armée de bureaucrates, qui s’est considérablement accrue. Arrivent, de tous les points de l’horizon, les étrangers qui, quatre années durant, n’avaient pu satisfaire leur nostalgie de Rome, et qui apportent tous les remous de la guerre dans la nouvelle Cosmopolis

La vie contemporaine est mal à l’aise dans une ville qu’elle ne peut pas transformer entièrement à son usage. Elle déferle contre les vieux palais de pierre ; elle en ronge les bases, pour qu’on y insère bars, boutiques, et cinémas : ils n’en font pas moins obstacle à ses mouvements ; ils la contraignent, ils la gênent ; ils la contemplent de haut, majestueux et sombres, comme les témoins d’une civilisation séculaire qui ne veut pas abdiquer. Elle essaye de faire passer ses tramways et ses automobiles dans des rues construites pour les carrosses des cardinaux ; et c’est chaque fois un problème. Elle va chercher plus loin, dans de plus vastes espaces, vers les quartiers de la périphérie, son cadre normal. Mais une longue habitude, et une attraction invincible la ramènent vers le centre ; et l’on s’écrase au Corso.


Novembre 1921.

Je croyais que la France était un pays qui avait particulièrement souffert de la guerre ; saigné à blanc ; ravagé sur une bonne partie de son territoire ; appauvri, chargé de dettes envers des créanciers multiples, incapable de se faire rembourser son dû par son principal débiteur ; sans frontières naturelles pour le protéger contre une revanche à prévoir ; un pays qui a compris, après un moment d’attente, qu’il ne devait rien espérer que de lui-même, et qui peine à sa propre reconstruction. On s’instruit en voyageant ; je commence à connaître mon erreur. De même, je savais que nous avions beaucoup de défauts : je ne savais pas que nous en avions tant. Voyez jusqu’à quel point nous poussons la malice : les vices contraires s’excluent, d’ordinaire : nous avons trouvé le moyen de les concilier, et nous les possédons tous à la fois.

Si je m’amusais à mettre bout à bout les jugements que j’ai entendu porter sur notre compte pendant mon séjour de ce côté des Alpes, sans tenir compte de la valeur des témoignages et en