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Nicolas Troubelzkoï. Celle-là est terriblement savante pour moi qui reste ignorante, hors l’improvisation. Je suis heureuse, recherchée fort au delà de mon mérite, mais la pauvreté me paralyse. Recevoir mille accueils, ne rien rendre, c’est dur. Les misères de l’Ile Bourbon m’enlèvent mes derniers écus, Tendez la main au Président, me dit-on, il fera Edouard [1] : receveur général comme ses ancêtres. Non, non, ni Philippe, ni Louis. S’il faut quitter Paris, j’irai dans mon chalet manger des pommes de terre ; je vous avoue que je les déteste. »

Tournons la page et notons ce que Fortunée Hamelin nous dit encore de son cher, de son magnifique M. de Chateaubriand : « Avez-vous reçu ma lettre sur lui adressée à Mme Kisseleff ? écrit-elle à Marmont. Elle a eu un succès fou. Je le dis tout naïvement. Dix mille ont été enlevés en huit jours. C’est que le sujet était charmant. Je disais vrai sur tout et, en admirant cet incomparable écrivain, je dévoilais ce caractère amer, dédaigneux et farouche. A dater de Philippe, il dépasse tous les classiques, car, dans sa variété infinie, en prenant tous les styles, il les a donnés dans leur suprême perfection. Ce séjour à Prague est divin. Girardin me dit que le onzième volume allait surpasser encore le dixième. Hugo, Musset, sont à genoux devant ce génie qui, à leur sens, n’a rien de comparable et qui termine, à l’âge où tout s’éteint, par un chef-d’œuvre effaçant les plus belles pages de sa jeunesse. »

En lisant ce qui suit, pensons que Fortunée a maintenant soixante-dix ans passés. Plus de coiffure à la Titus, mais sans doute de longues anglaises encadrant un visage tout ridé. Notre ex-Merveilleuse écrivant à Marmont est peut-être attablée devant un bonheur du jour où sont enfermés quelques galants billets de Montrond troussés dans la forme du XVIIIe, sans doute aussi des lettres à la hussarde du colonel Fournier voisinant avec des épitres de René toutes palpitantes de lyrisme.

Ce passé lui inspire-t-il des remords ou simplement le regret qu’il soit le passé ? Peut-être trouve-t-elle que Montrond, Fournier et les autres, ce fut en somme peu de chose ; ce furent des passades ne valant ni repentir, ni souvenir attendri. Mais, pour ce qui est de Chateaubriand, ah ! que la voilà surexcitée ! Il y a quelque chose d’un peu comique à entendre cette septuagénaire

  1. Mùe Hnmelin parle ici de son fils. Elle avait eu aussi une fille qui devint la marquise de Varambon.