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Sans nul doute, Mme Hamelin espérait que le comte de Montbel irait tout de go dévoiler cette intrigue à son ami M. de Tatistcheff, ambassadeur du Tsar à Vienne.


La dernière lettre de Mme Hamelin au comte de Montbel est de 1836, et c’est seulement dans une liasse datée de 1850 que je trouve à nouveau l’écriture si curieuse de la pétulante créole. Ces pages ne furent pas adressées à mon grand père, mais à Marmont de qui il les tenait. Elles furent griffonnées à l’heure où le pouvoir était enfin entre les mains d’un Bonaparte. Elle doit donc exulter d’aise, la grande admiratrice de Napoléon. Hélas ! elle est au contraire toute désenchantée, et ce désenchantement fut un des derniers que la vie devait lui infliger, puisqu’elle mourut le 29 avril 1851.

Voyons comment à Marmont, ce vieil ami de l’armée d’Italie, elle raconte ses déceptions, en même temps que des choses assez curieuses à propos de Chateaubriand :

« Je suis si confuse d’être confuse ! Cette situation est si peu dans mes allures que je ne savais comment aborder mes aveux et rétractations. Cher ami, pardonnez à mes inconcevables illusions. Oui, oui, j’ai cru le prince Louis-Bonaparte neveu de l’Empereur, — au moins par ce reflet que les aînés imprimeur aux cadets, selon l’illustre Buffon. Lorsque j’ai aperçu ces yeux ternes et caves, ce corps d’une pièce où l’opium règne en maître, tempéré par le Xérès, je n’ai retrouvé ni le sang corse, ni le hollandais qui était très beau, ma foi, ni le gentleman rider. Hélas ! Hélas ! Quelle effroyable mystification ! Quelle leçon désespérante, inouïe !

« Nous voguons sur une nacelle gouvernée par toutes les mains ou menottes. Une seule passion domine : la rage de poursuivre l’œuvre de caricature de l’Empire. Machiavel n’était qu’une rosière près de notre lâche majorité.

« Je vous le dis en toute franchise, depuis six mois la légitimité a perdu des chances immenses. Si, aux grandes époques, elle se fût manifestée par un manifeste, un geste, un principe bienveillant répété par des bouches écoutées ! Les royalistes ne se voient qu’entre eux, jugez des progrès du parti. Lors de la réunion de la Législative, je fus trouver des amis qui ont voix au Conseil. Je priai, suppliai Berryer, d’appuyer l’opinion d’un