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plus revenir. Il n’y a pas tenu trois mois. Il s’est fait conseiller ce retour par une chanson de Béranger. Badinage à part, je crois à la loyauté de son âme, à la force qu’il conservera, à ses écrits. C’est un bijou que toute couronne de France devra attacher à son bandeau, c’est le bas-relief de tout édifice. Mais sa politique ! J’ai peine à conserver mon sérieux devant ce roman de Restauration, laquelle Restauration il trouverait détestable, si elle ne se faisait pas à sa troisième brochure et par lui et pour lui. Je lui disais : « Vous croyez diriger, arrêter et régner au fond de la grotte comme Egérie. Un beau matin, la révolution reviendra incendier Egérie, les palais et l’Europe. » Il ne le croit pas et s’imagine que, devant ce chaos, il apaisera les ambitions déchaînées, fera dire à la Reine d’emmener sa famille à la ville d’Eu et s’avancera aux Tuileries avec une brochure dans la main gauche et Henri V à la main droite. »

Dans une autre lettre, Mme Hamelin raconte encore : « J’ai vu M. de Chateaubriand. Il était d’une colère ! C’est alors qu’il est charmant, il cesse d’être un peu guindé, il abonde en belles paroles, en images et vaut mieux que toutes ses préfaces. » A quelques jours de là de nouveau deux ou trois phrases pour finir en pointe sèche le portrait du grand homme. « Il s’opère un changement fâcheux dans l’humeur de M. de Chateaubriand. Il est sombre, inaccessible. Toute conversation dont il n’est pas le seul objet l’ennuie et le jette dans la distraction. Son talent au reste survit à sa bonne humeur. Il repousse un peu durement nos illustrations littéraires. »

Mme Hamelin nous parle alors de ces « illustrations littéraires » qui « seraient à couver pour des cœurs royalistes. » C’est d’abord son ami Balzac qui, avec ses beaux romans, « vous serre le cœur dans un étau ; » c’est Jules Janin qui, avec ses feuilletons des Débats, « vous fait rire en dépit de tous les chagrins ; » c’est Alfred de Musset dont il faut lire le délicieux Spectacle dans un fauteuil ; c’est Mme Sand « qu’on place tout à coup fort au-dessus de Mme de Staël. » Toutes ces « illustrations » sont, peu ou prou, gagnées à la cause légitimiste. Il suffira de réchauffer leur zèle. « Inutile de parler encore de l’Aigle poétique. Victor Hugo persévère avec acharnement dans une opinion qui est toute de rage, de bile. Ses malheurs et ses passions augmentent ou abattent son talent, mais aux dépens de sa vie, car il change beaucoup. Lamartine qui a perdu sa fille