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perdirent la tête et la monarchie fut perdue sans avoir pu battre un rappel. Non, soyons justes. Nul ne pouvait prévoir que M. de Polignac allait livrer bataille sans troupes, sans subsistances et en choisissant Raguse pour cette si grande affaire. Mais depuis ! Ils ont d’abord barricadé leurs hôtels, chassé leurs valets et se sont envolés de toutes parts. Passe encore. Il fallait éviter la première bagarre, se rallier, se mettre en sûreté. Les voilà tous dans leurs terres.

« Là, bien en sûreté, on devait croire qu’ils n’allaient pas s’isoler du peuple, des électeurs, de leurs moyens d’influence. Rien. Les grilles furent fermées, la salle à manger scellée, les gens réformés, les ouvriers congédiés. Lorsqu’on voyageait, si on voyait un château délabré, des jardins abandonnés, on était assuré d’avance qu’ils appartenaient à un bon et riche carliste. Tout à côté, on voyait une propriété pimpante, des millions de fleurs, des valets, des terrassiers. A qui cette jolie demeure ? — A M. un tel, député, banquier, fabricant. — Et ce château si sale ? — A M. de Talaru : c’est Chamarante. A M. Aldobrandini : c’est Saint-Sevrin. A M. de Luynes : c’est Dampierre.

« A force, à force, ils revinrent un peu, mais toujours s’isolant, se craignant même entre eux. L’opinion se soutint et se soutient d’une façon respectable sans doute, mais avec l’égoïsme, l’étroitesse de toute notre époque. La passion dominante de la noblesse française, c’est l’économie et l’acquisition des terres. Tous achètent... aucun ne dépense. Ils possèdent en définitive les seules fortunes réelles de France. Ils pourraient avoir dans leurs terres une influence immense. Eh bien ! non. Un peu de morgue, beaucoup d’avarice éloignent d’eux les classes aisées qui seraient heureuses, flattées de se rallier, de s’appuyer sur eux. La noblesse a changé de rôle. Elle s’est faite bourgeoise par sa lésinerie, et la bourgeoisie s’est faite noble par ses goûts élégants, son hospitalité et son luxe. Aujourd’hui, le peuple juge par les charités, les travaux, la dépense. Il ne sait pas l’histoire. Il serait facile de la lui bien enseigner.

« Le malheur réel du parti royaliste est de se croire individuellement trop considérable pour apprendre, obéir et faire des sacrifices. Maintenant, en France tout s’associe, se coalise. Depuis les savetiers jusqu’aux maréchaux, chacun apporte son tribut. Alors on accepte une direction, des chefs, on discute, on choisit ; mais enfin on est classé, obéissant, payant pour sa