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l’image de l’agneau vient d’un Panfilo Sasso, en quoi l’originalité du poème en souffre-t-elle ? Les réminiscences du lettré se sont fondues dans un mouvement lyrique conduit avec fermeté et qu’anime la plus juste idée de la patrie.

Pour rendre des sentiments aussi personnels, le poète ne s’est pas contenté de l’instrument d’autrui. Nul avant lui n’avait su enclore tant de visions dans les limites d’une construction poétique aussi étroite. L’art s’y montre tellement sûr, et la nuance si parfaite, que le sonnet même d’un Ronsard, mis en comparaison, semble parfois du travail grossier. Du Bellay n’a pas seulement, comme il s’en vante avec raison, ajouté au sonnet italien cette façon de « tomber » en beauté, qui caractérisera désormais le nôtre. Il s’est fait une langue sobre, aisée, colorée, d’un plein naturel, « doux-coulante, » disait Belleau, qui contraste avec le style laborieux des écrivains d’alors :


Et peut-être que tel se pense bien habile
Qui, trouvant de mes vers la rime si facile,
En vain travaillera me voulant imiter.


Cette forme nouvelle « de simplement écrire, » Du Bellay ne l’abandonne plus, à partir de son retour d’Italie. Elle brille aux meilleures pages des Jeux rustiques, qui furent son dernier recueil et seraient son chef-d’œuvre, si les Regrets n’existaient pas. Comptons-la comme un présent de plus fait à notre lyrisme par un maître qui l’a comblé.

Joachim du Bellay est mort à Paris à trente-sept ans, le 1er janvier 1560. Qu’aurait pu donner encore ce poète délivré des entraves de l’école, enrichi par une expérience exceptionnelle de la vie et par une forte observation morale ? Quelle musique eût rendue ce luth si pur, exactement accordé sur une grande âme, désireuse et capable de s’exprimer ? Cette question traverse la rêverie, quand on écoute en soi-même les échos d’un chant immortel.


PIERRE DE NOLHAC.