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au moment du déclin, des déceptions amères, des rancœurs. Un printemps, un été radieux ; mais l’automne n’épanchait pas cette douceur lénifiante, dont il est parfois empreint ; il était maussade, il était quinteux.

En 1829, le journal la Mode rappelait cruellement à l’ancienne Merveilleuse, à celle qu’on appelait jadis « le premier polisson de Paris, » que le temps de ses merveilles était passé. Il la proposait ironiquement comme présidente honoraire d’un jury qui aurait à statuer sur les questions d’élégance. Elle n’était pas encore évincée du monde, elle était assidue à toutes les fêtes, mais ces fêtes ne faisaient qu’exciter son esprit caustique, et elle ne manquait pas de le verser dans les comptes rendus politico-mondains qu’elle adressait au comte de Montbel. En voici un où elle décrit un bal chez Louis-Philippe :

« Le Juif couronné par les Doctrinaires vient d’ouvrir les Tuileries. Il est trop prudent pour avoir fait des dépenses intérieures. Ainsi, sauf les fossés, les routes souterraines conduisant au dehors, rien n’a été restauré, ni même nettoyé. On a trouvé au Garde-Meuble quelques étoffes fort belles provenant des commandes faites par Charles X à Lyon, et vite on a tendu tout cela, remis des carreaux, frotté et dansé.

« La composition du premier bal fut incroyable ; néanmoins, ce beau palais, son air de grandeur, sa mélancolie frappèrent tous les conviés, qui sautèrent tristement dans ce lieu si peu dansant. Le souper servi dans la galerie ne remonta guère les esprits. Il fut détestable, pis même qu’au Palais-Royal. Partout on retrouvait des pâtés de veau, des longes de veau et de mauvaises galantines. Le vin de Champagne du Roi se fabrique dans ses terres de Normandie, et il fallait se nommer pour en obtenir.

« Après ce festin, la famille royale se relira, et, le naturel prenant le dessus, on dansa des galopes si vigoureusement que les bandes joyeuses parcoururent les corridors et que, dans un escalier, vingt femmes furent culbutées, traînées aux rires de toutes les autres. C’étaient des gaietés de la rue Saint-Denis qui avaient vendu beaucoup de fleurs. Ce résultat doit encourager. Les rues Saint-Denis, Saint-Honoré, Saint-Martin étaient contentes, la vente allait. On a pu voir que près de trois mille personnes tenaient à l’aise dans ce noble palais, que le roi Charles X eût bien fait de substituer sept ou huit fêtes par an