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ceux qui se bornent à se lamenter et qui, dans leur inaction, espèrent toujours qu’à la fin la patience restera dame Elle était une agissante. Immédiatement elle part en guerre contre les Bourbons. Elle groupe les mécontents, stimule leur zèle, conspire tant et si bien que la police de Louis XVIII s’émeut et signifie à la dangereuse bonapartiste d’avoir à s’éloigner. Elle barguigne un peu ; cet ordre n’est pas de son goût, ; enfin, elle se décide à partir pour Bruxelles en novembre 1815.

Deux ans après, la voilà de nouveau à Paris. Le duc de Richelieu avait autorisé ce retour. Il l’avait même sans doute provoqué, car Mme Hamelin allait se consacrer, au profit du Gouvernement, à d’assez vilaines besognes. Elle allait devenir une indicatrice. Qu’est-ce à dire ? On reçoit dans son salon, on va dans ceux des autres et, tout en papotant, en débinant son prochain, en jouant au whist, en causant théâtre et chiffons, en se permettant quelques prudentes digressions politiques, on se renseigne, on scrute les opinions, on évente des projets, on tâche de savoir comment pense un tel : peut-il être rangé parmi les fidèles ou faut-il le tenir en suspicion ? Bref, en d’élégants atours on fait du moutonnage mondain.

Déjà sous l’Empire, Fortunée Hamelin avait été embrigadée dans la police politique, dans ce que Bourrienne, au cours de ses Mémoires, appelle la police d’opinions, et Napoléon faisait grand cas de ses rapports. A cette époque du moins, Fortunée Hamelin s’attachait à sa besogne avec une passion que commandait son enthousiasme bonapartiste ; mais comment concevoir qu’elle ait repris du service sous Louis XVIII ? Des besoins d’argent l’y poussèrent sans doute. M. Ernest Daudet, dans une très intéressante étude [1], nous a révélé que Mme Hamelin fut stipendiée par la Restauration au prix de 12 000 francs par an. Cette somme était peut-être indispensable à l’ancienne Muscadine [2] pour boucler le budget de ses élégances. Faut-il croire qu’ayant change de maître, elle changea d’opinions ? Nullement. Sa préférence pour les Bonaparte demeurera fidèlement au fond de son cœur et elle s’arrangea du mieux qu’elle put pour concilier cet amour avec les nécessités que lui imposaient des soucis pécuniaires.

  1. La Police politique sous la Restauration : Revue des Deux Mondes, du 1er janvier 1918.
  2. Sous ce titre : Une ancienne Muscadine, M. André Gayot a publié un charmant recueil de lettres de Mme Hamelin avec une préface d’Emile Faguet.