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c’est beaucoup de naturel dans ses manières et dans ses paroles. Peut-être ce naturel n’aurait pas été bien à une autre, je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est qu’à elle il lui allait parfaitement… Son esprit avait de la malice et souvent cette malice de chatte avait les griffes un peu longues. Mais je crois que comme les chats aussi elle ne les allongeait que lorsqu’on lui marchait sur les pattes ou sur la queue. »

M. André Beaunier, dans son délicieux livre Trais Amies de Chateaubriand, nous dit qu’Hortense Allart avait le cœur sur la main et qu’elle tendait la main volontiers. Fortunée Hamelin ne manqua pas de faire assez souvent ce même geste : Les bénéficiaires en furent nombreux. La chronique cite Montrond, le colonel Fournier[1], etc., non pas une multitude que nul ne peut compter, mais une liste assez copieuse. Évidemment la pimpante Merveilleuse ne sut pas garder tout ce qu’il faut pour être un sujet d’édification. L’hôtel de la rue Blanche, si coquet, si agréablement ombragé, sa demeure pendant plusieurs lustres, ne fut pas en tous points un temple austère de la Vertu.

Si notre héroïne se plut à danser avec tous les Vestris de bals Thélusson ou Longueville, elle fut surtout liée avec le monde militaire. Elle voyait beaucoup Bonaparte, Junot dont elle négocia le mariage. Marmont, pour lequel elle conserva toujours « un vieux fond d’habitude. » D’aucuns prétendent même qu’entre elle et Bonaparte il y eut un peu plus que des relations d’amitié. En tout cas, il est de fait qu’elle fut une des premières à vouer une fougueuse admiration au vainqueur d’Arcole. Pour être plus près du glorieux général et de ses brillants auxiliaires, ne vint-elle pas séjourner à Milan auprès de son amie Joséphine de Beauharnais ? Elle aussi fut donc de l’armée d’Italie. Le prestige de nos triomphes enchantait son imagination ; l’épopée napoléonienne galvanisa ses enthousiasmes et elle eut au cœur un grand amour de la cause bonapartiste pour laquelle elle se prodigua.

Si l’Empire combla tous ses désirs, quelle fut son indignation au retour des Bourbons ! Avec sa nature ardente, Fortunée Hamelin ne pouvait être une résignée. Elle n’était pas de ceux qui attendent sous l’orme des jours plus à leur convenance, de

  1. Sur le colonel Fournier et Mme Hamelin, voir les articles captivants publiés par M. Gilbert Augustin-Thierry : Conspirateurs et Gens de Police, dans la Revue d’avril-juin 1908.