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« Dans ce moment, écrit Mme d’Abrantès, une forte odeur d’essence de rose se fit tout à coup sentir dans l’appartement. Un mouvement assez vif fit porter vers la porte une foule de jeunes gens au-devant d’une jeune femme qui arrivait seulement, quoiqu’il fût prodigieusement tard... Son regard vif et malin étincelait d’esprit et exprimait en même temps toute la bonté de la personne la plus simple. Elle était tout à la fois bonne amie et la plus séduisante des femmes. Enfin elle plaisait. Elle était à la mode et son nom était redouté ou souhaité, lorsqu’on désirait être jugé par elle. Tous les hommes remarquables du bat l’entourèrent, aussitôt qu’elle parut... M. Charles Dupaty, M. de Trénis, M. Laffitte lui demandèrent à l’instant de danser avec eux. Elle répondit à chacun avec une expression de bonne humeur et d’esprit, en souriant de manière à montrer deux rangées de dents d’ivoire, et continua d’avancer en agitant ses légères draperies parfumées, embaumant ainsi tout l’appartement. Mme de D..., que cette odeur tourmentait et comme toutes les personnes tracassières qui veulent toujours se plaindre de ce qui plait aux autres, commença par s’agiter sur la banquette où elle avait enfin trouvé place et finit par dire très haut :

— En vérité ! Je crois que c’est la femme ou la fille de Fargeon [1]. Il y a de quoi faire évanouir l’homme le plus robuste.

— C’est Mme Hamelin, dit M. d’Hautefort.

— Mme Hamelin... Mme Hamelin... Venez ici, Ernestine, mettez votre palatine et partons... Et ce marquis ! m’assurer que je trouverais ici mon ancienne société ! Vraiment oui ! Depuis une heure je tombe de fièvre en chaud mal. Allons, ma fille, partons.

Qui était donc cette Mme Hamelin qui suscitait la vertueuse indignation de Mme de D... et alarmait sa vigilance maternelle ?

Au temps dont nous par le la duchesse d’Abrantès, Mme Hamelin tenait une des premières places parmi les élégantes, aimables et spirituelles vedettes du Tout-Paris mondain. Zélatrice de la mode, la mode en avait fait une des femmes les plus en vue, et il n’était pas de fêtes où elle ne vînt briller par sa verve étincelante et sa beauté du diable.

Elle était née, en 1776, à Saint-Domingue. Démentant toutes les théories tyranniques qui veulent que le milieu où nous

  1. Célèbre parfumeur.