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Il envie Ronsard, qui acquiert des titres à la faveur royale, et Baïf, qui a le bonheur d’être toujours amoureux :


Moi chétif, cependant, loin des yeux de mon Prince,
Je vieillis malheureux en étrange province,
Fuyant la pauvreté, mais, las ! ne fuyant pas

Les regrets, les ennuis, le travail et la peine,
Le tardif repentir d’une espérance vaine,
Et l’importun souci, qui me suit pas à pas.


Dans ces dispositions, les instants heureux de son passé, la grâce du pays de Loire, la simplicité des mœurs françaises, lui apparaissent sous un jour nouveau. Voici, dans sa mémoire, pour charmer une heure de tristesse, les bords lumineux de son fleuve, où le vanneur de blé dit sa chanson « à la chaleur du jour, » les toits de fine ardoise des villages angevins, dont la fumée monte dans la paix du soir ; voici, sur ces collines rustiques où s’est éveillée sa jeune muse, « le clos de sa pauvre maison, » qu’il préférera désormais à l’habitation des palais illustres. Toutes ces images, qu’effacèrent un instant les magnificences romaines, lui deviennent plus chères, embellies du voile de l’éloignement et transfigurées par le souvenir. C’est là pense-t-il, qu’il fait bon vivre et qu’il faut revenir pour passer « le reste de son âge » :


Félix qui mores multorum vidit et urbes,
Sedibus et potuit consenuisse suis.
Ortus quæque suos cupiunt...
Quando erit, ut notæ fumantia culmina villæ
Et videam regni jugera parva mei !


Le sonnet d’Ulysse, qu’on trouve esquissé dans son latin, ne dit qu’une partie de ses regrets. C’est la plainte de « la douceur angevine ; » celle d’une belle âme bien française, et qui se sent telle, résonne sur un ton plus viril :


France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m’as nourri longtemps du lait de ta mamelle ;
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois...


On voudrait que tout jeune Français sût poursuivre par cœur ce beau sonnet national. Si le premier vers rappelle Virgile, si