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J’ai pu me promener seule dans les lamentables faubourgs. Autour des maisons basses, tanières où l’on n’entre que courbé en deux, sèche une écorce pilée qui fait la terre toute noire et couleur de misère. Des pores grognent dans la rue, se réfugient au fond des chambres ouvertes. Les enfants ne sont vêtus que de chemises en lambeaux. Les femmes, au seuil des portes, peignent leurs longs cheveux ou s’épouillent avec soin... Jamais je n’ai surpris le ricanement qui insulte, la parole grossière. Quelquefois seulement j’entendais dire, derrière moi : « Celle-là n’est pas d’ici. » Et si je demandais mon chemin, la plus sordide mendiante savait bien joliment répondre, quand je la remerciais :

— Cela ne vaut pas un merci...

L’âme d’un pays, d’une province, c’est peu de quelques jours pour s’imaginer la bien connaître. Mais il est permis de la pressentir. Et les chants populaires, là-dessus, disent bien des choses, les chants qui montent de la campagne derrière les gémissantes charrettes, ceux que répètent les lavandières en battant leur linge dans la « rivière des crapauds » ou les botteleuses de fougère dans le vieux bois de la Comtesse... Les chants surtout que j’ai entendus un soir, dans la modeste salle où se réunit la Société des Coros gallegos.

Elle est composée uniquement d’humbles gens de la ville, artisans, employés, petits boutiquiers. Un peintre, à qui la peinture ne donna pas de quoi vivre, photographe aujourd’hui très artiste et très fin, don Enrique Guerra, eut l’idée de les appeler, de les réunir, de leur donner le goût de connaître mieux que par bribes et de continuer à faire vivre la vieille musique de chez eux. Alors, ce soir, parce qu’on leur a dit : « Cette Française est une amie de l’Espagne, et elle serait contente d’entendre vos chansons, » ils ont renoncé à la flânerie sous les « arcos » ou dans les jardins de l’Alameda. Et tous sont là maintenant, rangés en demi-cercle, dans la grande salle humide meublée de quelques chaises et dont se décolle le papier fleuri.

L’orchestre est composé de deux petits tambours, larges et plats, de deux tambours de basque et d’une gaita. (La gaîta de Galice, n’est-ce pas le biniou breton ?) II joue d’abord une muhiñeira. C’est ici la danse nationale. La simplicité des