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Le gai quercynois Olivier de Magny, qui rime, auprès de Du Bellay, les sonnets des Soupirs visiblement imités des siens, prend de la vie romaine ce qu’elle offre d’agréments, et se borne à railler à la gauloise ce qu’elle a de corrompu. Le sérieux de Joachim l’empêche de se « romaniser » sur ce point. Le moraliste septentrional, le croyant fidèle qui est en lui, ressent une réelle souffrance de ce qui, d’abord, amusa sa curiosité. Comme il pleure en chrétien la mort de ce vertueux pontife, l’humaniste Marcel II, dont la présence éphémère sur la chaire de Saint Pierre promettait un vigoureux nettoyage des « étables d’Augée ! » Il est, ce jour-là l’interprète de ses doutes amis et des bonnes gens du popolino. Dans toute cette critique impitoyable des mœurs publiques de son temps (on sait qu’au retour il n’épargnera pas Genève), il a pris exactement à son usage le ton libre de l’esprit romain. En publiant ses vers à Paris, Joachim produira, sans s’en douter, quelque scandale. De bonnes âmes s’en alarmeront ; ses ennemis y trouveront des armes ; ils indisposeront même contre lui son cardinal ; mais on ne voit pas qu’un de ses compagnons de séjour ait contesté sa véracité, ou lui ait fait grief de la vivacité de ses peintures.

Le milieu où il a vécu l’a blessé par trop de côtés pour qu’il ait jamais pu s’en accommoder, comme font à Rome tant d’autres « forestiers, » et la mission du cardinal, en se prolongeant tant d’années, a fini par lui infliger la contrainte, d’un véritable exil. Ses amis restés en France continuent à mener une existence dont il a connu la douceur et pardonné les heures difficiles. Sa pensée les visite sans cesse, et c’est pour qu’ils ne l’oublient pas lui-même, pour qu’on lui garde sa place au foyer des lettres, qu’il cisèle avec leur nom les fins bijoux qu’il leur envoie. Une suite de sonnets attendris répète aux échos du Tibre la chère louange de Madame Marguerite. D’elle et de tous il veut être plaint pour ses misères, après avoir été probablement jalousé pour le « beau voyage. » Il conte, de manière âpre ou plaisante, ses tracas, ses fatigues, ses déceptions ; il accentue les traits amers sur son entourage ; il avoue l’isolement de son cœur :


O beaux discours humains ! je suis venu si loin
Pour m’enrichir d’ennui, de vieillesse et de soin
Et perdre en voyageant le meilleur de mon âge...