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même rivière Sar, les laboureurs étonnés qui voyaient naître des étoiles dans les fourrés obscurs du Libredon.

Pour la foire du jeudi, dans les jardins de l’Alameda, on les voit arriver de leurs petites aldeas [1], toutes blanches, toutes ramassées sur les longues pentes humides, contre les bois de chênes et de pins. Ils tirent derrière eux une vache rousse, ou bien un couple de bœufs, ou trébuchent à suivre deux ou trois pores grognants liés par une patte. Quelques-uns, qui viennent sans rien qu’un peu d’argent sans doute au fond de leur poche montent de petits chevaux sans selle, habillés seulement d’une belle couverture éclatante à dessins jaunes sur un fond de larges rayures vertes, rouges et bleues.

Jeunes ou vieilles, les femmes, sur leurs tresses pendantes, portent un fichu clair orné de fleurs imprimées. Les hommes sont habillés de sombre velours, à côtes épaisses. Quelques-uns arborent encore le gilet galicien, de drap rouge, galonné et brodé comme le gilet breton. Ainsi, dès huit heures, par les routes et les ruedas commencent-ils d’arriver, lentement... Et sans plus se presser vont les retardataires que l’on croise encore à midi. On dirait que le tiède et paisible climat impose à tous les gestes sa modération ; ce n’est pas ici l’Espagne du soleil et des mules forcenées : c’est celle des pluies fréquentes et des tranquilles chars à bœufs.

Ils sont roux, ces grands bœufs, il est roux, absolument et uniformément roux, tout le bétail vacuno qu’on achète et qu’on vend à cette foire du jeudi. Cela fait, quand le temps est beau, sous les arbres de l’Alameda, un grouillement extraordinaire et de la plus intense lumière. On dirait le soleil lui-même, croulant à travers les feuilles, qui s’est abattu là par grands blocs de rayons vivants et chauds. Vers une heure après-midi, les bêtes dans le jardin restent à la garde de quelques enfants et toute la masse des rustiques se répand à travers la ville.

Dans la rua del Villar, dans la calle Preguntoiro, petites, serrées, tortueuses et toutes grouillantes de vie, les femmes s’arrêtent devant les boutiques. Les corbeilles débordantes, les lourds paquets ficelés qu’elles portent sur leur tête, bien en équilibre, n’inquiètent en rien l’aisance de leur flânerie. En fichus à fleurs, en jupes bien froncées, leurs solides pieds nus

  1. Villages.