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vers les grèves. Sur l’une d’elles, quelquefois, la barque s’inclinait ; mais la marée suivante la reprenait avec elle. Et quand le soleil touchait obliquement la feuille métallique et courbe des grands eucalyptus, les disciples pensifs croyaient retrouver là multipliée à l’infini, déjà couverte d’or comme sont les reliques, la forme du couteau qui servit au supplice et qu’ils avaient couché près du supplicié.

Vint un matin où la barque penchée ne se releva plus. L’échouage cette fois semblait définitif. Fallait-il descendre là ? Les disciples prirent le corps, embaumé sans doute avant le départ de Jaffa par cette pieuse Tabitha que ressuscita saint Pierre. — Ils le couchèrent sur un rocher et, sentant cette masse se creuser et s’attendrir aussitôt, ils comprirent bien, à ce commencement des prodiges, que le terme du voyage était arrivé.

Alors, ils s’en allèrent vers la ville d’Iria, et plus loin que la ville, suivant la route romaine aux longues dalles de granit, marchèrent jusqu’au château magnifique et fortifié où vivait une riche veuve qu’on appelait Lupa. Jadis, elle avait entendu les prédications de l’apôtre, et, sans se convertir encore, s’était cependant laissé émouvoir. Athanase et Théodose la prièrent de leur donner un petit espace de terre pour y ensevelir le corps de leur maître.

Lupa était prudente. L’eau vive de la Foi, qui tremblait et brillait au bord de son âme, ne s’y déversait pas encore. Sans trop mal accueillir ces hommes suppliants, elle leur conseilla d’aller d’abord à Dugium où résidait le légat, demander à celui-ci son autorisation... Et quand ils revinrent de Dugium, échappant à la prison où le légat les avait fait enfermer, délivrés par un ange, ayant vu derrière eux le pont du rio Tambre s’écrouler sous la soldatesque qui les poursuivait, tant de prodiges, troublant cependant bien fort cette « señora Lupa, » comme l’appelle l’historien espagnol, cette « madame » Lupa, ne défirent pas absolument ses hésitations.

— Allez toujours, dit-elle aux disciples, bienveillante sans doute, et traîtresse en même temps, allez à mes fermes du mont Ulicino... Vous y pourrez prendre les bœufs qui vous sont nécessaires pour transporter le corps.

Or, le mont Ulicino ne portait pas seulement les fermes et les troupeaux de la puissante veuve. « Les bois de chêne qui couvraient ses versants étaient comme l’immense atrium du