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parmi les malles et les valises, les gros paquets ficelés, les bonbonnes d’huile, les sacs cliquetants tout bossues par ces formes en bois dont, — pour ceux qui se chaussent, — on fera la semelle des lourdes galoches de cuir.

— A vous revoir bientôt... Et Dieu soit avec vous... Heureux voyage !

La machine jaune et noire s’ébranle avec prudence. Un instant nous longeons le quai. Le soleil étincelle aux vitres des miradors qui font de chaque maison une immense cage vitrée. Des femmes passent, en soie claire, jolies et trop poudrées. Mais bientôt nous quittons ces quartiers élégants. La route monte à travers de pauvres faubourgs. La mer qui se découvre au-delà des toits, semble monter avec nous. Déjà nous sommes très haut, et les môles ne sont plus que les maigres bras gris de quelque nageur pétrifié, essayant d’étreindre encore quelques petits bateaux fumants et fuyants vers l’étendue bleue, d’un bleu d’émail très dur et tout craquelé d’or.

Longtemps, à notre gauche, ce bleu nous accompagne. Ce n’est plus le port : c’est une espèce de lagune, un fjord qui se rétrécit, un filet d’eau pénétrant la terre. Il se perd, disparaît, et nous nous enfonçons dans des montagnes boisées de pins. Des maisons blanches se serrent au bord de vallées fertiles qui ondulent profondément sous la verdure frisée des maïs. Tout. en granit bleuâtre sur leurs piliers de granit, les « hornos » où l’on serre le grain, ornés d’une petite croix à la pointe de leur toit, parsèment le paysage d’une infinité de fantomatiques et minuscules chapelles.

Les côtes deviennent rudes, les descentes rapides. Aux deux côtés de la route une désolation infinie commence de s’étendre. — « La plus pauvre région de Galice, » déclarent mes compagnons. — Rose du rose lilas des bruyères, hérissée d’ajoncs durs, de courtes herbes rudes, où donc ai-je vu déjà cette terre triste et belle ? Où donc ai-je respiré cet air aux saveurs vertes et tout pénétré d’eau ?... Il ne me semble plus arriver pour la première fois dans ce lointain pays inconnu, mais y revenir. Un soir de Bretagne, sur la lande sans arbres, un humide soir rose et couleur de lilas n’était-il pas semblable à ce soir qui commence ?... Toutefois, les houles de la terre ici s’enlèvent plus haut, se creusent davantage. Elles deviendront plus violentes encore après la courte halte à « l’auberge du Vent » d’où notre