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étonnante intuition, Pasteur entrevoit le rôle immense des infiniment petits dans la nature. Se détournant de l’étude des cristaux (ce qu’il regrettera toute sa vie), Pasteur s’adonne à celle des fermentations.

Le célèbre mémoire sur la fermentation lactique, paru en 1857, est la première assise du monument grandiose qu’il va construire, il y montre que l’agent qui transforme le sucre en acide lactique est une levure nouvelle, et il avance l’idée que chaque fermentation est provoquée par un ferment spécial qui est un être microscopique.

C’est de la fermentation par excellence, la fermentation alcoolique, que traite un second mémoire publié en 1858 ; Pasteur y établit que le dédoublement du sucre en alcool et acide carbonique ne se fait pas suivant la fameuse équation de Lavoisier, et que, dans toute fermentation alcoolique, il se produit de la glycérine et de l’acide succinique représentant environ 5 p. 100 du sucre employé. Cette fermentation est corrélative de la vie de la levure, celle-ci n’agit point comme une substance organique en voie de décomposition, ainsi que le voulait la théorie régnante, mais comme un être vivant et c’est parce qu’elle vit et se développe qu’il y a fermentation alcoolique.

On lui opposait qu’il existe de l’ammoniaque dans le liquide d’une fermentation alcoolique, que cette ammoniaque est le témoin de la désintégration de la matière azotée qui entraîne celle du sucre. Pasteur fait voir que dans une fermentation alcoolique pure il ne se forme pas d’ammoniaque, bien plus, si, dans une pareille fermentation, on ajoute un sel ammoniacal, il disparait, car il sert d’aliment azoté à la levure. Enfin, la fermentation est si peu la conséquence de la désintégration de la matière organique que Pasteur obtient la fermentation alcoolique d’un liquide sucré ne contenant que des sels minéraux et auquel on ajoute quelques cellules de levure. Celles-ci, loin de périr et de se désorganiser, pullulent et la fermentation se développe en même temps qu’elles. La fermentation est donc un phénomène de vie et non un phénomène de mort. Cette belle expérience ruinait définitivement la théorie du ferment considéré comme matière organique en voie de décomposition, théorie cependant bien commode, car elle s’appliquait à toutes les fermentations ; la même caséine altérée mise en présence d’une solution de sucre pouvait déterminer soit une fermentation