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à la mode, une autre enfin à ces traités philosophiques de toute sorte qui répandaient chez nous la doctrine platonicienne de l’Amour. Du Bellay a cependant une sensibilité trop vive pour n’en pas montrer l’élan, même sous les formes les plus conventionnelles de la pensée. C’est avant tout l’idée abstraite de la beauté féminine et la chaste passion d’un pur amant qui font le double thème, un peu monotone, de ces cent quinze sonnets en vers dissyllabiques, qui n’annoncent rien des Regrets. Mais cette guirlande précieuse ne se déroule point autour d’une image tout à fait fictive ; l’Olive de ses vers d’amour serait sa cousine Olive de Sévigné, mariée à dix-huit ans à un gentilhomme breton, Mathurin du Gué. Il semble bien que sans fournir aucune précision, il y caresse le souvenir des tendresses profondes et contrariées de sa jeunesse.

Du Bellay n’a point connu l’éducation par un père lettré, les vives amitiés de l’adolescence, les voyages, les succès de cour, qui ont donné à Ronsard une connaissance précoce de la vie. Une existence souvent éprouvée, remplie par des soucis de famille et d’argent, aggravée d’une demi-surdité, vouée à une médiocrité de fortune indigne de son nom et de sa haute parenté, voilà ce qu’on devine à l’origine de certains découragements du poète. Ce n’est pas en vain qu’il intitule une plaintive allégorie « Chant du désespéré. » L’affection de quelques familiers, l’appui fidèle d’un ménage parisien dévoué aux lettres, celui de Jean de Morel, lui apportaient d’appréciables consolations. Il en trouvait aussi chez Marguerite de France, sœur du Roi, qui l’assista dans ses déceptions et lui rendit plus d’une fois confiance en lui-même, princesse d’âme généreuse que toute la Pléiade honore comme Joachim, mais qu’il est seul à célébrer avec son cœur. Aurait-il cependant ajouté des pages bien fortes à sa production première, alors qu’il avouait sa lassitude de la poésie, dont si peu de fruits matériels lui étaient venus, et qu’il employait son talent, comme par passe-temps, à traduire sans éclat deux chants do. l’Enéide, une héroïde d’Ovide, et d’autres moindres ouvrages de latinité ancienne ou moderne ? Ne décelait-il pas ses dispositions intimes en choisissant, pour clore un nouveau recueil, la libre traduction de l’Adieu aux Muses de Buchanan, dont il s’appropriait la tristesse ? Joachim avait trente ans, et l’occasion d’être lui-même ne s’était pas encore offerte.