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Et Laure ? Parlez-moi de Laure ? est-elle contente de sa position ? Et votre intérieur, comment peut-il marcher ? Dieu vous garde des tracasseries domestiques qui se renouvellent chaque jour ! Adieu, mille vœux bien sincères pour votre prospérité. Le commissaire se rappelle à vous. Carraud et moi sommes vos meilleurs amis.


Mais Balzac est un mauvais correspondant, car il est accablé de travail. Et, de janvier à mai, la plume de corbeau ne court que pour les revues et les libraires : Histoire du chevalier de Beauvoir, le Grand d’Espagne, Madame Firmiani, le Message, Chabert, le Curé de Tours, un dizain de contes… et j’en passe. Le 3 mai 1832, inquiète, Mme Carraud lui écrit :


Mon bien cher Honoré,

Ne dirait-on pas que le choléra a visité l’un de nous ? Je ne me pardonne pas d’être restée si longtemps sans m’occuper de vous, à une époque où toute lettre peut être la dernière, où la mort se place entre les amis ! Il y a bien des causes à ce silence, mais aucune ne m’excuserait à mes yeux, si vous aviez été malade. Cela n’est pas, j’espère. J’ai eu de vos nouvelles par M. Périolas et M. Borget, jusqu’à cette dernière quinzaine. Honoré, la famille du commissaire est arrivée. Sa femme a une passion de vous voir ; elle est intelligente et bien faite pour vous apprécier, mais elle a une telle idée de vous qu’elle assure ne pas avoir le courage de vous parler. Aussi, si jamais vous vous égarez de nos côtés ; si, fatigué de cette survie que vous menez, vous sentez le besoin de donner répit à votre active intelligence, et d’avoir recours à la vie purement matérielle, nous avons résolu de taire votre nom à cette dame, afin de la laisser en jouissance de tout son esprit et vous laisser, l’un et l’autre, les moyens de vous juger sainement.

Il y a en outre, chez le commissaire, deux jeunes demoiselles fort bien ; vous voyez que la Poudrerie a pris une activité sociale qu’elle était loin d’avoir. Mes relations personnelles avec le commissaire y ont perdu, je le vois à peine, mais sa femme le remplace avec avantage.

Vous ne sortirez donc jamais de cette vie tempestueuse, cher Honoré ? Vous nierez donc toujours les douceurs de cette existence, seulement nuancée, remplie par une affection puissante, mais calme, forte de sa force seulement ?… Votre imagination