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inspiration parallèle, que différencie seulement un tempérament particulier. Du Bellay s’est hâté de tenir sa partie dans le concert lyrique de la « brigade, » appliquant ainsi son propre précepte : « Chante-moi ces Odes inconnues encore de la Muse française, d’un luth bien accordé, au son de la lyre grecque et romaine. » Il s’exerce, toujours suivant la Défense, à « convertir les anciens en sang et nourriture, » empruntant ses sujets, ses images, les mouvements de sa pensée, à Horace, à Ovide, à tous les modèles latins exploités en même temps par Ronsard, et mêlant comme lui la fable antique à la louange des princes et des amis. Il l’égale même un instant dans l’ode De l’immortalité des poêles, où s’expriment avec force et hardiesse tant d’idées chères au groupe entier, la valeur incomparable du travail poétique, l’assurance du laurier. sans fin, le dédain pour le vulgaire ignorant et pour l’idéal grossier des courtisans de la fortune :


Mais moi, que les grâces chérissent,
Je hais les biens que l’on adore,
Je hais les honneurs qui périssent,
Et le soin qui les cœurs dévore...
Rien ne me plaît, hors ce qui peut déplaire
Au jugement du rude populaire.


Il est encore un domaine où les deux jeunes maîtres se rencontrent et se complaisent à s’attarder. Ils sont l’un et l’autre, dès la première heure, des « poètes du terroir. » Ils se rattachent à leur province par tous les liens de leur jeunesse et veulent en être l’honneur. Ils ont l’orgueil de leur race, mais plus encore le profond sentiment de ce qui les unit à la terre de leur berceau. Le futur chantre du « petit Liré » célèbre déjà son Anjou, comme Ronsard son Vendômois. Il en évoque les paysages à travers des allusions mythologiques, dont tous ces poètes abusent ; mais, s’il lui plait de faire, à son tour, « l’élection de son sépulcre, » il demande à reposer près de quelque fontaine de ces bords de la Loire, que le « Tibre latin » ne lui fera pas oublier. La première de ses odes est intitulée les Louanges d’Anjou au fleuve de Loyre. Plus tard, les charmantes adaptations de poésie paysanne qu’on trouve dans ses Jeux rustiques, y compris celle du Moretum virgilien, se montrent remplies de noms angevins, d’allusions aux usages locaux, et l’œuvre antique qui l’a inspiré est tellement « repensée » par lui qu’il semble tirer le sujet tout entier de l’observation de son pays.