Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/812

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
806
REVUE DES DEUX MONDES.

Je dérobe mon cœur à tes plaisirs voraces.
Je ne veux plus courber mon front, lorsque tu passes,
Altier, la torche au poing et l’éclair dans les yeux,
Devant toi, le plus fourbe et le plus dur des Dieux.
Va-t-en ! Mon seuil est clos et ma demeure est forte.
J’ai poussé le vantail et verrouillé la porte
D’ébène, du plus loin que j’entendis ton pas.
Va-t-en ! Tu peux frapper, on ne t’ouvrira pas,
A moins que, délaissant la force et la colère,
(Car à la ruse aussi ne sais-tu pas te plaire ?),
En souriant, les yeux baissés et les pieds nus,
Pareils à ceux, un jour, qui vers moi sont venus,
Tu ne viennes, portant à la main comme une arme
Mystérieuse, à la fois talisman et charme,
Cette fleur dont jadis le parfum respiré
M’a, de son souvenir, à jamais enivré,
Et qu’imitant la voix divine et le visage
Dont au fond de mon cœur vit la divine image,
Tu ne fasses, d’un seul regard et d’un seul mot
Plus fort que la tenaille et plus fort que l’étau,
Et dont je sais pourtant le piège et l’imposture,
S’ouvrir grande la porte et céder la serrure !


QUELQU’UN PARLE A L’AMOUR


« J’avais presque oublié, bel Amour, ton visage,
Dit-il, et le voici qui se penche vers moi !
J’écoute, saluant ton pas de jeune Roi,
Cette flûte déjà qui chante avant l’orage.

« L’éclair va-t-il bientôt déchirer le nuage ?
Est-ce la nuit qui vient, est-ce le jour qui croît ?
Sera-ce un jour de joie ou bien un jour d’effroi ?
Est-ce le vent qui sème ou le vent qui saccage ?

« Je ne sais, mais je sais, bel Amour, que tes yeux
Se sont fait un regard de l’étoile des cieux,
Comme fleurit la terre aux roses de ta bouche ;