Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne montre mieux à quel point le long travail de l’humanisme avait préparé les esprits.

Dans cette fameuse « guerre contre l’ignorance, » qui décida des destinées de notre poésie, Joachim du Bellay, par timidité naturelle autant que par sincère modestie, s’était assigné lui-même la seconde place. Il ne voulait être que le principal lieutenant du « capitaine de bataille. » Mais le chef savait le mérite qui revenait à un tel rôle. C’est à ses côtés qu’il tint à marquer toujours, pour son siècle et pour les suivants, le rang de son ami dans l’école. Après avoir assisté à sa vie difficile et à sa fin prématurée, il disait avec un accent qui ne trompe pas ;


Je pleurais Du Bellay qui était de mon âge.
De mon art, de mes mœurs et de mon parentage,
Lequel, après avoir d’une si docte voix
Tant de fois rechanté les Princes et les Rois,
Est mort pauvre, chétif, sans nulle récompense,
Sinon du fameux bruit que lui garde la France.


Leur carrière aurait dû se poursuivre du même pas qu’au départ, puisque leur double maîtrise était reconnue par tous les disciples et que leurs œuvres se publiaient alternativement parmi des sympathies semblables. Ils étaient « les deux lumières de France, comme tous les hommes de bon jugement les estiment. » Mais Du Bellay vécut longtemps hors de France, et la mort l’arracha au travail deux ans à peins après son retour. Ronsard devait survivre un quart de siècle, et l’on peut se demander quelle place eût été occupée auprès de lui, si s’était continuée une œuvre détachée peu à peu de son sillage et dont l’originalité singulière s’affirmait par les Regrets. Leurs deux noms restèrent associés, tant que dura le prestige de la Pléiade. Notons même qu’un bon critique, demeuré fidèle à celle-ci en plein XVIIe siècle, Guillaume Colletet, regardait la réputation de Du Bellay comme conservée de son temps « toute pure et toute entière, » alors qu’on se dégoûtait des « nobles hardiesses » de Ronsard : « Et je ne doute point aussi, ajoutait-il, si le ciel eût prolongé ses années, qu’il n’eût rendu la palme douteuse entre lui et le grand Ronsard, et qu’il n’eût même enfin remporté sur lui le titre glorieux de prince de nos poètes. »

Dès leurs débuts, en cette fatidique année 1550 qui vit paraître leurs premiers recueils, on peut suivre chez eux une