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l’empereur Nicolas II tellement au dépourvu que c’était le grand-duc Michel qui avait dû s’improviser copiste.

J’ai conservé durant des années, dans les archives ministérielles les plus secrètes, cette petite feuille de papier à en-tête du yacht Impérial sur laquelle étaient copiés, de la main du grand-duc, les quatre articles de l’arrangement paraphé par les deux Empereurs.

Etant dirigé contre la France et tout au profit de l’Allemagne, cet arrangement ne nous attribuait en échange aucun avantage.

L’article premier de l’arrangement portait : Au cas où l’un des deux Empires serait attaqué par une Puissance européenne, son allié l’aiderait en Europe de toutes ses forces de terre et de mer. D’où se dégage inévitablement la conclusion suivante : Au cas d’une guerre entre Allemands et Français, — par exemple, pour les affaires marocaines dont l’Allemagne se servait toujours pour provoquer la France, — la Russie devrait faire cause commune avec l’Allemagne contre son alliée !

En s’assurant cet avantage, l’Allemagne ne nous donnait rien en échange. En effet, aux termes du traité, elle ne devait aider la Russie qu’en Europe ; or, si la Russie avait à craindre un conflit, ce n’était pas en Europe, mais plutôt en Orient, où l’Allemagne était libre vis à vis d’elle de toute obligation.

Dirigé contre la France et l’Angleterre, l’arrangement de Björko mettait la Russie entièrement à la merci de l’Allemagne ; car il était à prévoir que jamais les Français ne consentiraient à s’y joindre et que notre crédit en France en souffrirait irréparablement.

Mais le plus tragique de la situation était que les engagements signés par l’Empereur à Björko étaient en pleine contradiction avec tous ceux qui nous liaient à la France.

Rentré de Péterhof avec le traité de Björko dans son portefeuille, le comte Lamsdorff me confia, tout chaud, ce qu’il venait d’apprendre et me demanda de lui apporter le dossier secret de l’Alliance franco-russe.

Ce dossier en main, le ministre passa la majeure partie de la nuit à rédiger, pour l’Empereur, une note résumant tous les motifs qui nous interdisaient de ratifier le pacte de Björko ; il prépara, en même temps, un projet de dépêche pour M. Nélidoff, notre ambassadeur à Paris.