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aussi la verdeur de leur mépris pour les écrivains du jour, ces vendeurs d’« épiceries » dont le succès soulève, à la veille de toutes les révolutions littéraires, les mêmes colères de la jeunesse.

Précieux renfort pour la petite bande, l’Angevin fut rejoindre à Paris Ronsard et Baïf, et il s’établit entre eux une étroite camaraderie et une parfaite communauté d’idées. Il importe peu que Du Bellay n’ait point regagné l’avance que ses compagnons avaient sur lui pour le grec et qu’il soit resté presque tout latin, alors que l’hellénisme envahissait de plus en plus leur horizon ; l’essentiel fut que chacun d’eux, selon ses forces et ses dispositions, se vouât sans réserve à la tâche bien définie où tout leur avenir s’engageait. Tandis qu’ils se préparaient, par un long et dur noviciat, à servir leurs Muses choisies et à affronter l’épreuve publique, les chapitres de la Défense et illustration sortaient peu à peu des chaudes causeries de Coqueret. Tout n’y est pas d’égale valeur, ni d’une argumentation sans réplique. Il faut y voir avec indulgence l’ouvrage collectif d’un de ces cénacles qui, de nos temps encore, mettent au jour les « jeunes revues, » s’imaginant apporter au monde une révélation indispensable. On croit entendre la voix de Ronsard dans quelques véhémentes apostrophes, par exemple ces passages fameux où les genres traditionnels de notre poésie sont renvoyés en bloc « aux jeux floraux de Toulouse et au puy de Rouen. » Qu’y a-t-il au fond de cette violence ? un souci, assurément très louable, de l’honneur de la nation française, mais aussi l’impatience de jeunes gens pressés qui se poussent d’emblée au premier rang et croient que l’art de leur pays doit dater d’eux.

Cette attitude impertinente, qui irrite nécessairement les contemporains, la postérité l’applaudit, quand le génie l’a justifiée. Elle entraîne d’ordinaire les parties vivantes et curieuses du monde lettré. Il faut toutefois que des œuvres s’y joignent, et les nouveaux venus tenaient leurs vers en réserve au moment où l’on discutait leur prose. Ils jetaient coup sur coup sous les presses de Paris, Ronsard les quatre livres des Odes, ornés d’une hautaine préface, Du Bellay son recueil de Vers lyriques et les cinquante premiers sonnets de l’Olive. Leur succès fut combattu, mais rapide et universel. Après la ville, la cour et bientôt tout le royaume raffolèrent des nouveaux rimeurs. Rhétoriqueurs et marotiques étaient réduits au silence. Il n’y a pas d’exemple d’une victoire de ce genre aussi totale, aussi prompte, et rien