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D’après cette lettre, on voit combien Nicolas II était irrité contre l’Angleterre.

Un discours inconvenant à L’adresse de la Russie, que le Premier Ministre anglais venait de prononcer, à Southampton, augmenta encore cette irritation.

Aussi, ne faut-il pas s’étonner si le Tsar attendait avec impatience la réponse de l’empereur Guillaume au sujet de l’alliance entre la Russie, l’Allemagne et la France.

Cette réponse n’arriva que le 2 novembre : elle était écrite en anglais, sur six pages de grand format, aux armes impériales. En voici le texte résumé :

(Une alliance purement défensive, dirigée exclusivement contre l’agresseur ou les agresseurs européens.) Il ne faudrait pas que l’Amérique considérât cette alliance comme une menace contre elle. Deux partis existent en France : 1° les radicaux, — anti-chrétiens qui gravitent vers l’Angleterre mais qui sont contre la guerre ; — 2° les nationalistes, — cléricaux qui n’aiment pas l’Angleterre, sympathisent avec la Russie, mais qui ne veulent pas de guerre non plus. En somme, la France tient avant tout à sa neutralité, sur quoi spécule l’Angleterre. Bouvier, le ministre des Finances français, a dit en décembre dernier que la France ne soutiendrait en aucun cas la Russie contre le Japon, même si l’Angleterre se solidarisait avec l’Empire du Soleil Levant. Pour s’assurer contre la France, l’Angleterre lui a cédé le Maroc. Tout changera quand la France sera forcée de se prononcer ouvertement pour Saint-Pétersbourg ou pour Londres. — Si toi et moi, nous restons épaule contre épaule, il en résultera que la France sera obligée de s’unir ouvertement et formellement à nous deux et de remplir ses devoirs d’alliée envers la Russie, ce qui est pour nous de la plus haute valeur, étant donné ses ports excellents et sa belle flotte qui sera de cette façon à notre disposition. Si nous y parvenons, moi je maintiendrai la paix et toi, tu auras les mains libres pour négocier avec le Japon. — Je suis en sincère admiration devant ton sublime instinct politique qui t’a suggéré de faire instruire l’incident de la Mer du Nord par le Tribunal de la Haye. Cet incident, intentionnellement embrouillé, a été exploité par les radicaux français, — Clemenceau et tous les autres, — comme une preuve que la France n’est pas tenue de remplir envers la Russie ses obligations d’alliée. D’après mes renseignements, Delcassé et Cambon ont entièrement adopté dans