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l’histoire, les conseillers irresponsables qui ont tout fait pour jeter la Russie dans cette funeste aventure. Car il n’y a pas de doute que les deux révolutions de 1903 et de 1917 en furent les suites fatales. Ces gens sont bien plus coupables envers la Russie que les Japonais, nos adversaires. Ceux-ci avaient tout intérêt à s’entendre avec nous à l’amiable, et ils auraient certainement préféré cette solution à toute autre. Est-ce que les ouvertures faites en 1901 par le marquis Ito, dont il a été question plus haut, n’en étaient pas la preuve ? Est-ce que M. Kurino qui, en définitive, a été chargé de nous annoncer la rupture des négociations, a pu ne pas être exaspéré en voyant que ses efforts conciliants secondés par ceux du comte Lamsdorff venaient se heurter immanquablement à des influences du dehors ?

La semaine qui avait précédé la rupture, il venait souvent deux fois par jour au ministère pour avoir notre réponse, que son Gouvernement attendait fébrilement ; chaque fois il se heurtait à des paroles évasives, dues à ce que le ministre des Affaires étrangères était obligé d’attendre sur toute question les avis de l’amiral Alexéïeff qui mettaient un long temps pour arriver. Désolé par cette incertitude, exaspéré par la lenteur, croyant plutôt à un double jeu, Kurino sortait penaud du ministère, et il n’avait qu’à traverser la place du Palais d’Hiver pour entendre un tout autre son de cloches. Au comité d’Extrême-Orient, on lui faisait comprendre très clairement que la Russie ne céderait pas, que le Japon n’avait pas à y compter. Si l’on considère que ce langage belliqueux était tenu par des gens qui se disaient les plus proches du trône, et qui se vantaient de contrôler l’activité des ministres en titre, ce qui était au fond le cas, qui est-ce qui ira, la main sur la conscience, reprocher au diplomate patriote japonais son attitude ? Qui est-ce qui lui fera grief d’avoir mis en éveil son Gouvernement, de lui avoir fait part de ses observations, de ses craintes, enfin de ses doutes sur la sincérité du jeu qui se jouait autour de lui grâce aux doubles pouvoirs créés dans tous les ressorts principaux de l’Administration ? N’était-ce pas son devoir tout indiqué d’ouvrir les yeux à son Gouvernement ?

Le soir du 8 février, toute la Cour, l’Empereur, les deux Impératrices, entourés des grands-ducs et des grandes-duchesses, assistaient à une représentation au théâtre Marie. On donnait la Roussalka, un opéra de Dargomyjsky ; avec Chaliapine et