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en ouvrant le pli, y trouva deux notes. L’une portait que le Gouvernement japonais, après avoir épuisé tous les moyens pour arriver à une solution pacifique et ayant perdu patience à attendre notre réponse, avait pris la décision de cesser les négociations condamnées à l’insuccès et de rompre les relations diplomatiques en rappelant son ministre et tout le personnel de la légation et des consulats. L’autre note était une demande des passeports : M. Kurino fixait son départ au mercredi 10 février.

Le comte Lamsdorff, qui avait une capacité étonnante de conserver sa présence d’esprit dans les moments difficiles, ne laissa échapper que deux mots russes, intraduisibles, qui voulaient dire à peu près : « Tu l’as voulu, Georges Dandin ! » Il me prescrivit de congédier M. Oda, en lui disant que les notes lui avaient été remises par moi en mains propres.

Le secrétaire insista cependant pour obtenir un accusé de réception, que je ne manquai pas de lui délivrer. Ceci fait, il tira de sa poche encore deux paquets, dont l’un contenait la liste des personnes pour lesquelles les passeports étaient demandés, et l’autre des médailles de la Croix Rouge japonaise avec une prière personnelle de M. Kurino de les faire parvenir à destination ! Après avoir accompli la partie officielle de sa mission, M. Oda se confondit en regrets et en souhaits et disparut.

M. Kurino avait aussi joint aux notes officielles qu’il avait été chargé par son Gouvernement de faire parvenir au ministre une lettre particulière, très amicale et pleine de regrets de ce que tout avait tourné autrement qu’il ne l’avait souhaité ; à la fin de la lettre, il exprimait l’espoir que « cette interruption des relations diplomatiques serait limitée à la plus courte durée possible. »


La guerre n’était pas encore officiellement déclarée, mais personne ne doutait plus que le sang coulerait. L’Allemagne qui voulait cette guerre, tout en simulant d’être notre amie, et l’Angleterre qui s’est franchement solidarisée avec nos adversaires, pouvaient triompher toutes les deux. Comme de raison, chacune d’elles ne songeait qu’à ses propres intérêts.

Mais quel était donc l’intérêt russe dans cette guerre impopulaire, que personne ne comprenait, dont personne ne voulait et que tout le monde désapprouvait ?

A cette question doivent répondre, devant la patrie et devant