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de confier à l’amiral Alexéïeff des pouvoirs absolus pour la question des intérêts russes dans ces parages éloignés.

La lettre impériale se terminait par les souhaits de santé qu’il adressait au ministre pour continuer le service avec son zèle ancien.

Quelques jours après cet incident, Bézobrazoff se présentait de nouveau au ministère des Affaires étrangères et, probablement selon les indications de l’Empereur, il tâchait de soutirer au comte Lamsdorff les raisons de son mécontentement ; il insinuait même qu’il pourrait les faire parvenir en haut lieu. Le ministre déclina sèchement ces bons offices, en disant qu’il n’admettait pas de médiateur entre l’Empereur et lui.

Il faut avoir connu les idées du comte Lamsdorff sur la provenance divine du pouvoir impérial, pour mesurer ce qu’a dû lui coûter le ferme langage qu’il a cru devoir tenir à son souverain pour écarter le péril qui menaçait la Russie.


Cependant, la situation empirait de semaine en semaine. Et le comte Lamsdorff multipliait vainement ses efforts contre la politique funeste de Bézobrazoff et de ses associés. Les relations diplomatiques de la Russie et du Japon arrivèrent bientôt à une tension extrême.

Vers le milieu de décembre, l’Empereur convoqua, à Tsarskoïé-Sélo, un conseil extraordinaire, auquel assistèrent le grand-duc Alexis, en sa qualité de grand-amiral, le comte Lamsdorff, le général Kouropatkine et l’amiral Abaza. La discussion fut vive. Le comte Lamsdorff, qui ouvrit le débat, se prononça énergiquement pour qu’on évitât de rompre les négociations avec le Japon. A quoi, le grand-duc Alexis objecta que le Japon n’avait rien à voir dans nos rapports avec la Chine, de qui seule relevait la Mandchourie.

— Mais, reprit Lamsdorff, pouvons-nous raisonnablement exiger des Japonais qu’ils se désintéressent d’un pays où ils ont tant de nationaux et de si grands intérêts économiques ?...

L’Empereur soutint l’opinion de son ministre des Affaires étrangères. Après une nouvelle résistance du grand-duc Alexis et de l’amiral Abaza, il fut décidé que l’on poursuivrait les négociations avec le Japon et que le comte Lamsdorff préparerait des instructions dans ce sens.