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du droit de réponse, — la faculté octroyée à n’importe qui « d’imposer une réclame gratuite au journal qui l’avait nommé, » — c’était bien et dûment un privilège.

Liberté de la critique, — et liberté sans laquelle la critique ne saurait vivre. Le droit de réponse est, par la plus juste des définitions, assimilé au droit de légitime défense ; et, comme tel, il reste intangible. Mais il est clair que s’il faut à toute force louer, louer uniquement, louer toujours, louer tout et tous, louer à tout propos et à tour de bras, la critique n’est plus libre, il n’y a plus de critique. Or, nous avons besoin de la critique, et s’il est, à l’époque où nous sommes, quelque reproche à lui faire, ce n’est certes pas celui d’excessive sévérité. Dans la discussion instituée à la Société d’Études législatives, un conseiller à la Cour de cassation, M. Ambroise Colin, se plaignait du caractère neutre, incolore, et en quelque sorte commercial, que revêtent trop souvent les critiques qu’on lit dans les journaux. « Quand je lis une page de critique, trop souvent je me figure rencontrer une sorte d’annexe des annonces et réclames qu’on trouve ordinairement à la quatrième page des journaux. Et je me demande alors si toute proposition qui doit ajouter à l’indépendance de la critique n’est pas, en somme, conçue bien plutôt dans l’intérêt de la littérature et, par conséquent, des auteurs eux-mêmes, que dans l’intérêt des journaux. » C’est la philosophie de toute cette affaire, et nous aimons à la trouver dans la bouche d’un magistrat lettré. Prise entre la brutalité de la réclame payée et les complaisances de la camaraderie, la critique loyale a de plus en plus de peine à maintenir sa place. Du moins pouvons-nous espérer en avoir fini avec la menace, qui pesait sur elle, d’une pénalité suspendue sur le critique coupable d’avoir fait honnêtement son devoir.

Puisse l’arrêt de la Cour, — dont on a dit qu’il était une révolution du Palais et qui pourtant est si peu révolutionnaire, — inaugurer une ère nouvelle ! Tout le monde y gagnera, à commencer par les auteurs. La presse a trop le sens de ses intérêts professionnels, pour n’avoir pas salué avec joie une jurisprudence soucieuse d’assurer au journaliste sa liberté, au critique son indépendance, à l’homme de lettres sa dignité.


RENÉ DOUMIC.