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COUR D’APPEL DE PARIS. — PREMIÈRE CHAMBRE
Présidence de M. le Premier Président André.


La Cour,

Considérant que, dans son numéro du 15 juin 1919, sous la signature de René Doumic, son directeur-gérant, la Revue des Deux Mondes a publié un article de critique dramatique sur la tragédie des Perses d’Eschyle, représentée à la Comédie-Française dans une traduction en vers de Silvain et Jaubert ; que Doumic, louant l’œuvre d’Eschyle comme « le plus magnifique poème inspiré par l’enthousiasme grave et réfléchi de la victoire, » en explique par la tradition antique, le sens patriotique et le sens religieux ; qu’il félicite d’ailleurs Silvain et Jaubert d’avoir pensé que le poème éveillerait en nos âmes « d’intimes et pathétiques résonnances, » le miracle de Salamine devant évoquer pour nous le miracle de la Marne ; qu’il constate, néanmoins que, sur la scène de la Comédie-Française, les Perses, n’ont pas soulevé l’enthousiasme qui eût pu être attendu, ce qu’il attribue au caractère de l’œuvre lyrique d’Eschyle, pour conclure en ces termes : « La beauté d’une œuvre lyrique ne se sépare pas de la valeur du style et des vers : elle ne s’accommode pas de la médiocrité. J’estime qu’une prose fidèle eût mieux valu. Traduire Eschyle en vers ! à moins d’être un très grand poète, il est sage de ne pas s’en mêler. »

Considérant que, si mesurée qu’elle fût, cette appréciation excita les susceptibilités de Silvain et de Jaubert, qui, par lettre adressée à Doumic le 20 juin 1919, se plaignirent que du sommet où il avait exalté le chef-d’œuvre d’Eschyle, il n’avait pas suffisamment estimé la valeur de leur effort poétique ; que, contestant la préférence donnée par le critique à une « prose fidèle, » ils soutenaient qu’un poète ne saurait être vraiment traduit que par un poète et que le rythme lyrique, pour revivre dans une autre langue, exige le rythme lyrique ; cette thèse étant développée à l’aide de citations et de comparaisons tirées des Perses :

Considérant que Doumic, ayant refusé d’insérer leur lettre dans la Revue des Deux Mondes, les deux auteurs l’ont assigné devant le Tribunal civil en vue de l’obliger à cette insertion ;