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borné à présenter aux magistrats quelques explications d’ordre professionnel, et j’ai confié le soin de défendre la Revue à un des maîtres du barreau, Me Léouzon Le Duc, hier membre du Conseil de l’Ordre, et tout particulièrement versé dans les questions de presse. Dans une plaidoirie, — qui s’est étendue sur deux audiences et dont je puis bien dire, puisque je ne fais que répéter les échos entendus au Palais, qu’elle fut un modèle de science juridique et d’éloquence persuasive, — Me Léouzon Le Duc s’est appliqué à montrer qu’en proposant aux magistrats d’infirmer le jugement de la première Chambre civile, il leur demandait certes un effort, mais l’effort précisément qu’il est dans leurs attributions et dans leur tradition de fournir. En effet, cet exercice du droit de réponse qu’on prétend être général et absolu, est, en réalité, limité par certaines restrictions : il faut que la réponse ne soit pas contraire aux bonnes mœurs, il faut qu’elle ne porte pas atteinte à l’honneur du journaliste, il faut encore qu’elle ne fasse pas grief aux intérêts légitimes des tiers. Or ces restrictions sont l’œuvre des tribunaux. Ils ont ainsi établi que le droit de réponse peut être exercé abusivement : si le droit de réponse est général et absolu, son exercice est relatif. Quand il s’agit de faire justice d’un abus, les tribunaux savent toujours donner à la loi l’interprétation nécessaire ; car l’état social change, si le texte de la loi ne change pas, et il faut que la justice corresponde à des besoins qui se renouvellent sans cesse. Si donc le droit de réponse dégénère en abus, à quel titre la Cour se refuserait-elle à faire justice de cet abus ?

L’avocat de MM. Silvain et Jaubert était Me de Saint-Auban, une des célébrités du barreau parisien. Il a prononcé une plaidoirie étincelante de verve et d’esprit. Nous ne saurions trop l’en remercier. Il était nécessaire que la thèse de l’application mécanique du droit de réponse, — du droit de réponse quand même, — fût soutenue avec une maîtrise qui ne pût être surpassée. Me de Saint-Auban y a fait merveille.

A la suite de ces plaidoiries, s’est produit un fait dont il y a, je crois, peu d’exemples au Palais. Avant de donner la parole à l’avocat général, le premier Président a félicité les deux avocats de la cause d’avoir imprimé à ces débats une ampleur et un éclat dignes des grandes traditions du barreau français. La Revue est fière d’avoir provoqué une discussion juridique d’une si belle tenue littéraire.