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personnelle, sur un ou deux points de pure doctrine... » Ces messieurs entendaient démontrer qu’il convient de traduire les poètes en vers et non en prose.

Ainsi, de leur propre aveu, MM. Silvain et Jaubert n’avaient rien à rectifier, rien à réclamer : ils voulaient tout uniment profiter du privilège que, d’après eux, la loi leur confère, pour exposer aux lecteurs de la Revue leur opinion sur une question théorique. Simple « opinion » en effet ; mais une opinion n’est pas une « réponse. » Une « réponse » doit présenter certains caractères, qui faisaient totalement défaut à la lettre de MM. Silvain et Jaubert. En dehors de toute inexactitude et de toute attaque, exiger, sous couleur de réponse, l’insertion d’un exposé de pure doctrine, c’était porter une atteinte évidente à la liberté de la critique.

J’ai refusé l’insertion demandée, parce qu’elle constituait éminemment un abus du droit de réponse.


MM. Silvain et Jaubert portèrent le différend devant les tribunaux. On sait que le droit de réponse est régi par l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881, légèrement amendé par une loi du 29 septembre 1919, et qui d’ailleurs ne fait que reproduire une disposition de la loi de 1822 sur la presse. Cet article est ainsi conçu : « Le gérant sera tenu d’insérer... les réponses de toute personne nommée ou désignée dans le journal ou écrit périodique. » En application de ce texte impératif et bref, les magistrats de la première Chambre du tribunal civil, présidée par M. Fieffé, rendirent un jugement qui, tout en limitant les dommages-intérêts aux dépens, condamnait la Revue. Ce jugement, à l’envisager du simple point de vue de la logique, ne laissait pas d’être assez déconcertant. Il y était dit expressément que la critique de la Revue avait été « sérieuse et mesurée ; » et le même jugement, après avoir fait honneur au critique de n’avoir obéi « à aucun autre sentiment que celui exprimant conformément à sa pensée son appréciation, » concluait à la condamnation de ce même critique qu’il venait de déclarer sans reproche. Fallait-il donc, de toute nécessité, qu’en matière de droit de réponse, la justice fût en contradiction avec le bon sens ?

Ce n’avait pas été l’avis du ministère public. Chargé de requérir l’application de la loi, M. le substitut Caous avait soutenu,