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réalisé, qu’en tout cas il n’existait, entre les points de vue des deux Gouvernements, aucune divergence irréductible. C’est après cette conversation, décisive pour le rétablissement de la paix en Orient, que les deux premiers ministres quittèrent ensemble Paris pour Lausanne, où ils devaient rencontrer M. Mussolini. Le dictateur les attendait à Territ et, où ils eurent avec lui une très cordiale entrevue ; encore novice dans la grande politique, le Président du Conseil italien montre un sens naturel des affaires et témoigne de sa volonté efficace d’entente et de solidarité avec ses partenaires. Le soir du même jour (19 novembre), lord Curzon, M. Mussolini et M. Poincaré arrivaient ensemble à Lausanne, comme s’ils avaient voulu par là manifester publiquement leur bon accord. M. Poincaré, après d’importants entretiens avec Ismet pacha, ministre des Affaires, étrangères et plénipotentiaire du Gouvernement d’Angora devenu le Gouvernement unique de la Turquie, avec M. Nintchitch et plusieurs autres personnages, a quitté Lausanne dans la soirée du 21, laissant aux deux plénipotentiaires français, M. Barrère et M. Bompard, le soin de poursuivre, dans une atmosphère de confiance et de loyauté, les négociations pour la paix. De son côté, M. Mussolini a repris le train pour l’Italie le 22 au soir.

Ismet pacha est venu à Paris avant l’ouverture des négociations. Il a pu s’y rendre compte des dispositions qui y règnent à l’égard de son pays ; il y a fait entendre des assurances, précieuses dans sa bouche de loyal soldat, que les intérêts français, notamment les écoles, n’auraient pas à souffrir du nouveau régime pourvu que la Turquie, à la Conférence, fût traitée sur un pied d’égalité avec les Puissances européennes. Malheureusement les nouvelles qui arrivent de tous les points de la Turquie, notamment de Cilicie, démentent ces propos rassurants. Ismet Pacha a pu se convaincre, à Paris et à Lausanne, que la Turquie ne serait pas traitée en vaincue, puisque, vaincue en 1918, elle a, à son tour, vaincu les Grecs en 1922, qu’elle ne s’entendrait pas dicter la loi sans avoir la faculté de la discuter, et que son indépendance et ses intérêts essentiels seraient sauvegardés. Les Turcs, à Lausanne, ne sont pas attirés dans un guet-apens comme ils ont l’air de l’appréhender. Si les Anglais ont donné asile au sultan Mehemet VI sur un cuirassé anglais qui l’a transporté à Malte, c’est sans arrière-pensée politique. Les premiers débats de la Conférence ont permis de constater que les Alliés sont résolus à maintenir, en face des Turcs, qui furent leurs ennemis de 1914 à 1918, cette unité de front qui assura leur succès dans la Grande Guerre, qu’ils sont