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effort. » Il y a des représentations que je préfère. Estimable, admirable même dans l’ordre moral, l’effort, dans l’ordre esthétique, est chose indifférente, voire pénible. Rien que le mot évoque une idée, une image aussi, qui n’a rien de commun avec la beauté. La tension, la rigueur et l’âpreté d’une œuvre comme celle de M. Bachelet exige de l’auditeur un effort comparable à celui que l’auteur a dû faire, que nous sentons qu’il a fait. Nous partageons son labeur et sa fatigue. Et puis cette musique a je ne sais quoi, tantôt de dur et de rude, tantôt de hérissé. Ou plutôt je sais bien quoi : la déclamation, lyrique ou dramatique, procède par soubresauts, par intervalles si larges, qu’ils y creusent des trous. L’orchestre au contraire est épais, et dans la symphonie l’air ne circule pas plus que n’y pénètre la lumière. Peut-être, le système ayant encore des partisans, voudrait-on savoir s’il y a là des leitmotive. Seigneur ! s’il y en a ! Demandez le programme. On y trouve, au hasard, des renseignements, ou des enseignements de ce genre : « Le second thème s’entend pour la première fois avec les mots : « Danser seule dans une chambre close… » Éclat de rire démoniaque sur le thème des yeux… Treizième thème, celui de : « Et commença la danse hallucinante… » Quatorzième thème : « Le vent rythmait des airs de danse. » Et ce n’est pas fini.

Vous en savez maintenant autant que nous, ou plutôt vous en saurez autant, quand nous aurons ajouté qu’avec tout cela, sinon malgré tout cela, il s’en faut, et de beaucoup, que la musique de M. Bachelet soit indifférente. À mainte reprise elle témoigne d’une puissance à laquelle il faut céder. Elle nous fatigue souvent, mais plus d’une fois elle nous maîtrise, nous émeut, et d’une émotion profonde. Chantée et dansée par les deux amoureux, certaine légende, — qui n’a d’ailleurs aucun rapport avec l’action, — forme une longue symphonie, instrumentale et vocale, dont le mouvement et le progrès nous entraînent très loin et très haut. Une autre scène, d’amour, d’un amour douloureux, est également une fort belle chose, d’un sentiment très intense et très fortement exprimé.

L’œuvre n’a que trois interprètes : Mme Balguerie, MM. Lapelleterie et Lafont. Bravo, messieurs, ou bravi. Mais vous, Madame, bravissima. Vous avez l’intelligence, la voix, l’action dramatique. Et, dans un rôle terrible, quelle résistance ! En vain l’univers musical s’est armé contre vous. Il ne vous a point écrasée. Après une telle victoire, l’artiste que vous êtes n’a plus rien à craindre. Elle est assurée contre tous les accidents.