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comme l’âme sonore. Une habanera domine la partition, elle la hante, elle l’anime tout entière, sans que pour cela, nous le verrons plus loin, elle l’absorbe et l’accapare. C’est aux accents de la habanera, jouée et dansée pour les noces de Pilar avec Pedro, que celui-ci tombe sous le couteau de Ramon et donne au meurtrier le sinistre rendez-vous. Au second acte, avec le revenant, elle revient elle-même. Sous des aspects divers et des formes renouvelées, elle emplit à peu près tout le dernier acte, celui du cimetière, de mélancolie, puis d’horreur. Elle devient le chant religieux, presque liturgique, d’un cortège de deuil qui passe. Sur les lèvres de Pilar mourante, on la reconnaît encore, alanguie, attendrie et tout près, elle-même, de mourir. Elle accompagne enfin, persécutrice impitoyable, la dernière sortie de Ramon. Aussi bien le thème en est assez plastique, assez riche, si l’on peut dire, de possibilités harmoniques et rythmiques, pour se prêter à tant de variantes.

Avec cela, jamais cette musique, si fidèle et docile qu’elle soit au drame, ne lui sacrifie rien de ses droits et de son être propre. Nulle part elle ne permet que l’action l’essouffle par trop de hâte ou, par trop de violence, l’étouffé. Et c’est là ce qui distingue l’œuvre de M Laparra de certains mélodrames à peine musicaux qui connurent en Italie et même en France une trop brillante fortune. Également dramatique et musical est le monologue de Ramon au premier acte. Il se fonde et s’élève en crescendo sur un thème et sur un rythme dont l’énergie et l’opiniâtreté rappellent un peu le premier tempo de la symphonie en ut mineur. Ajoutons qu’ici comme en tous les passages lyriques, il ne s’agit pas d’une esquisse ou d’une indication sommaire. Cette musique abrège au besoin ; mais, quand il le faut également, sans délayer elle développe. Elle étend sur tout le second acte un voile de tristesse morne et de mystérieux effroi. Pour en tisser la frêle et sombre trame, tantôt elle entrecroise les fils sonores, tantôt elle les tresse ensemble, elle en fait comme les dessins, ton sur ton, d’une étoffe de deuil. Tout bas, entre les voix et l’orchestre, s’établit et se continue, longuement, lentement, un échange de lugubres répliques, moins encore parfois, d’accents, de soupirs, de sanglots, le ton, entrecoupé de silences, mais qui parlent, qui chantent, qui rêvent aussi. « C’est de la musique, aurait dit Gounod, comme il disait de la « Fonte des balles, » dans le Freischütz, c’est de la musique à ne pas traverser la nuit. » Nocturne elle-même, tout y est ténébreux, les choses et les âmes. Et ces doubles ténèbres, on croit les entendre, ainsi que dans Tristan la lumière (« Hör’ ich nicht das Licht ? »). Semblables par